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Fulrad, abbé de Saint-Denis, chapelain et éminence grise du régime des carolingiens

Fulrad est peu connu, les livres d'histoire semblent l'ignorer, les études historiques en langue française consacrées à ce personnage sont assez rares et les traces laissées dans nos régions sont, à ma connaissance, pour ainsi dire insignifiantes : une modeste statue de Frédéric Schické à Lièpvre, le nom d'une ruelle à Saint-Hippolyte ainsi qu'une fresque et un vitrail dans l'église paroissiale, une statue dans les stalles d'Ebersmunster, et le nom d'un collège à Sarreguemines.

 

Son origine

 

Si certains historiens placent la naissance de Fulrad en Alsace, et notamment à Saint-Hippolyte, appelée jadis Andaldovillare, on admet aujourd'hui plus volontiers qu'il était originaire des pays de la Moselle et de la Sarre. Il est né aux alentours de 710 dans une famille noble franque proche de celle des Pépinides. On sait que son père s'appelait Riculf et sa mère Ermengarde et qu'il avait encore deux frères et une sœur. 

 

       Fulrad, statue à Lièpvre, Photo Christian Amet

 

Il fut élu 14ième abbé de la riche Abbaye Royale de Saint-Denis vers l'année 750 et exerça aussi les fonctions de chapelain et de conseiller auprès de Pépin le Bref, de Carloman et de Charlemagne dont il a su garder la confiance.

 

Son rôle dans l'accession au pouvoir de Pépin le Bref

 

Fulrad va jouer un rôle clé dans l'accession au pouvoir de Pépin le Bref qui avait deux frères Carloman et Griffon. Après avoir écarté Griffon de la succession, Pépin et Carloman vont se livrer à une lutte acharnée pour s'accaparer la succession de Charles Martel. Lorsque Carloman se retira du monde pour devenir moine au Mont Cassin il cèda dans un premier temps la mairie d'Austrasie à son fils Drogon que Pépin va réussir à écarter pour s'emparer du pouvoir sur l'ensemble du royaume des Francs. Mais il n'est que Maire du Palais, comme l'était déjà son père Charles Martel et n'est pas issu de la famille des Mérovingiens successeurs de la lignée royale de Clovis.

 

En l'an 750 Pépin va envoyer Fulrad en mission à Rome auprès du pape Zacharie (741-752) en compagnie de l'évêque Burchard de Wurtzbourg. Les négociateurs vont obtenir l'accord du Pape en faveur de la destitution de Childeric III et de l'accession de Pépin le Bref au trône des Francs. Le 27 juillet 754 c'est le Pape Etienne II qui va introniser Pépin le Bref comme roi des francs et patrice des romains, dans la basilique de Saint-Denis, et reconnaître la dynastie à travers ses fils Pépin, Carloman et Charles, futur Charlemagne. Childeric III va mourir en 755 dans l'Abbaye Saint-Bertin de Saint-Omer où il a été enfermé en 751.

 

L'accord du pape Zacharie avait une contrepartie, la protection des domaines pontificaux contre les Lombards. Le Pape aurait dit : - qu'il valait mieux reconnaître comme roi celui qui avait le pouvoir que celui qui portait le titre mais était incapable d'exercer le pouvoir -. Cet épisode historique marque l'avènement de la dynastie carolingienne mais aussi le développement du pouvoir du Pape sur les états pontificaux. A partir de l'année 755 Pépin le Bref mènera plusieurs campagnes victorieuses contre les Lombards et consolidera ainsi le pouvoir temporel de la Papauté.

 

Ses possessions et son testament

 

Par héritage, par des acquisitions successives ou des échanges mais aussi en bénéficiant d'importantes donations Fulrad a su développer ses possessions à l'Est, dans le Saulnois (pays de Seille), le Chaumontois, le Scarponois (au nord de Toul), dans le bassin de la Rosselle et de la Blies (affluents de la Sarre) mais aussi en Alsace dans le Brisgau et l'Ortenau. Il fit construire une église et un prieuré à Salonnes et fit don des reliques de Saint Privat, évêque de Mende, et de Saint Hilaire évêque de Mende et de Javols dans le Gévaudan.

 

L'Abbaye de Saint-Mihiel dont la fondation en 709 relève, d'après les chartes, du comte Wulfoald, apparemment apparenté au Maire du Palais rival des Pépinides, va faire l'objet d'une confiscation par Pépin le Bref en 755, avec l'ensemble des biens, suivie d'une donation à Fulrad. Cet événement va placer Saint-Mihiel sous l'autorité de l'Abbaye Royale de Saint-Denis et aussi favoriser son développement.

 

En 760 Fulrad fonda en Alsace, sur ses propres possessions, un prieuré (Fulradovillare) qu'il dota d'une relique de Saint Hippolyte qu'il avait ramenée de Rome. Une bourgade se développa autour de ce lieu qui prit le nom de Saint-Hippolyte, en allemand Sankt Pilt. Il va encore créer un deuxième monastère en 770, dans le Val de Lièpvre, qui portera le nom de Fulradocella et le dotera des reliques de Saint Alexandre et de Saint Cucufat. Cette fondation sera même confirmée dans un diplôme de Charlemagne qui en outre lui attribuera encore divers biens. Le 13 janvier 769, Charlemagne fit encore don à l'Abbaye de Saint-Denis du monastère de Saint-Dié.

 

Diverses fondations dépendantes de Saint-Denis furent aussi créées outre-Rhin comme Herbrechtingen, Esslingen ou Hoppetenzell (Adalungszell) dans la deuxième moitié du 8ième siècle. Ces différentes créations s'inscrivaient dans la stratégie de contrôle des territoires mise en place par le pouvoir carolingien.

 

Fulrad, qui avait encore enterré en 783 la reine Bertrade de Laon, femme de Pépin le Bref, va mourir le 16 juillet 784 et sera inhumé à Saint-Denis. Plusieurs historiens prétendent que sa dépouille a été transférée par la suite à Lièpvre où il faisait l'objet d'une grande vénération. Ce fait est toutefois très controversé.

 

En l'an 777, soit 7 années avant sa mort, Fulrad rédigea à Herstal, son testament faisant de l'Abbaye de Saint-Denis son légataire universel. Ce testament existe en fait en trois versions, qui diffèrent peu, dont deux sont signées de sa main et la troisième est l’œuvre d'un moine de Saint-Denis. Malgré les efforts développés par Saint-Denis pour conserver ce riche patrimoine la plupart de ces possessions vont échapper à l'Abbaye, comme celles d'Alsace et de Lorraine qui iront aux ducs de Lorraine, avoués de Saint-Denis et vassaux du Saint Empire.

 

Bruno Meistermann 26/04/24

 

Indications bibliographiques

 

Histoire universelle de l'église catholique, tome 5, le pontificat du pape Zacharie, Rohrbacher 1873 1879

La chronique de Saint-Mihiel, Monique Goullet, Hal, 2004

Fulrad, Revue d'Alsace 1901 1902, Marc Dubruel

Fédération des Sociétés d'Histoire d'Alsace, Fulrad, Christian Wilsdorf

Histoire de l'Abbaye Royale de Saint-Denis, Michel Félibien 1706

Saint Fulrade abbé de Saint-Denis Abbé Rapp 1883

Fulrad von Sain-Denis und der Frühbesitz der Cella Salonnes in Lotharingien, Zwischen Saar und Mosel, Saarbrücken 1995

Fulrad von Saint-Denis und der fränkische Ausgriff in dem süddeutschen Raum, Joseph Fleckenstein 1957

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