L'origine de la famille
Le tableau généalogique de la maison d'Eguisheim est à rattacher à la descendance du duc d'Alsace Etichon (Adalric), né au début du 7e siècle, père de Sainte Odile, la patronne de l'Alsace. Mais il comprend différentes lignées, dont celle qui conduit à un personnage influent à la cour de Louis le Pieux, Hughes de Tours, le père d'Ermengarde l'épouse de Lothaire.
Une autre branche mène à Eberhard, petit-fils du duc d'Alsace Etichon, le fondateur de l'abbaye de Murbach en 727 et frère du duc d'Alsace Luitfrid. Mais on a peut-être tort de le qualifier de comte d'Eguisheim même s'il est lié à cette famille comtale.
Plaque commémorative : église de Sainte-Croix-en-Plaine
Ce n'est que vers le début du 10e siècle que les comtes d'Eguisheim font leur apparition avec Hughes I qui a épousé Hildegarde, comtesse de Ferrette. Après avoir persécuté l'abbaye de Lure et craignant pour sa vie, Hughes fait reconstruire celle-ci et s'y retire comme moine.
Les comtes d'Eguisheim sont issus d'une lignée qualifiée de Eberhardine en vertu de la fréquence d'apparition du nom Eberhard dans la descendance. Cette lignée débute au 8e siècle avec Eberhard I, comte de Nordgau. Mais l'arbre généalogique précis fait encore aujourd'hui l'objet de débats. Les documents sur lesquels les chercheurs s'appuient sont constitués par les différentes chartes anciennes, les chroniques comme la Vita Deicola, la Vita Leonis, les Acta Murensia, et le liber Memorialis de Remiremont ou les manuscrits de certains monastères comme Einsiedeln ou Saint-Gall. Malheureusement certaines sources se révèlent être apocryphes et donc peu crédibles.
Cette famille franque, qui s'est éteinte au treizième siècle avec la mort en 1225 de la comtesse Gertrude, a joué un rôle clé en Alsace au Moyen-Âge par l'étendue de ses possessions territoriales, l'importance des fonctions politiques exercées, le nombre de ses fondations monastiques et par les liens de parenté qu'elle pouvait avoir avec différentes familles régnantes de cette époque.
Eguisheim et la vallée de la Bruche les points d'ancrage des possessions de la famille
Les possessions territoriales de la famille étaient telles qu'elle aurait pu prétendre au duché d'Alsace. Malheureusement celui-ci a été supprimé par les carolingiens au 9e siècle et remplacé par deux comtés : le Sundgau ou Haut-Alsace et le Nordgau ou Basse-Alsace. Le dernier duc d'Alsace, avant la création à nouveau d'un duché appelé cette fois de Souabe et d'Alsace au début du 12e siècle, était vraisemblablement Luitfrid, petit-fils d'Etichon et frère de Eberhard, le fondateur de l'abbaye de Murbach. Les points d'ancrage des terres allodiales de la famille étaient sans nul doute Eguisheim avec les Trois Châteaux (Wahlenbourg, Dagsbourg et Weckmund) ainsi que le château-fort urbain autour duquel vont se grouper les maisons de la charmante cité au 13e siècle et la vallée de la Bruche et de la Magel avec le grand château de Guirbaden et le monastère d'Altorf près de Molsheim fondé par Hughes III, dit l'enroué, et où étaient inhumés les ancêtres de la famille.
On ne connaît pas avec certitude la date de l'édification du Haut-Eguisheim qui devait être au départ une seule forteresse, érigée sur un site jadis occupé par les romains. La construction des trois forteresses s'est faite entre le 11e et le 13e siècle et on peut encore en admirer les vestiges de nos jours. C'est au Haut-Eguisheim que le comte Bruno, futur Léon IX, serait né, ou du moins, aurait passé une grande partie de sa jeunesse. Après l'extinction de la famille avec la mort de la dernière héritière, la comtesse Gertrude, les châteaux devinrent la propriété de l'évêché de Strasbourg et furent cédés en fief à Ulrich de Ferrette en 1251 en contrepartie de son renoncement aux droits à la succession des Eguisheim-Dabo. Ce dernier les rétrocéda en sous-fiefs à ses vassaux et notamment aux Nordgassen qui s'établirent au château du milieu, le Wahlenbourg. Après le mariage d'Albert le Sage avec Jeanne de Ferrette en 1324 le fief entra en possession des Habsbourg d'Autriche qui y installèrent leurs vassaux. Les seigneurs de Hattstatt, en tant qu'héritiers des Nordgassen, conservèrent leur privilège. Cette situation va perdurer jusqu'en 1648 où par le traité de Munster les biens des Habsbourg et ceux de l'empire allèrent au royaume de France. Notons encore qu'au 15e siècle, à l'occasion de la guerre des Six Deniers et après l'alliance passée entre la ville de Mulhouse et les villes suisses de Berne et Soleure en 1446, les châteaux seront assiégés et partiellement détruits par le landgrave Jean de la Roche , les citoyens de Mulhouse et leurs alliés, aidés par ceux de Turckheim et de Kaysersberg. L'instigateur de cette guerre, le meunier Herrmann Klee sera d'ailleurs pendu aux portes des forteresses.
Le deuxième point d'ancrage des terres des comtes d'Eguisheim est constitué par la vallée de la Bruche et de la Magel, le château de Guirbaden et le monastère d'Altorf près de Molsheim. C'est le comte de Nordgau, Hughes III l'enroué qui va achever le projet de construction du monastère d'Altorf conformément aux vœux de son père Eberhard IV. Ce monastère était destiné à accueillir les dépouilles des membres de la famille. Pour sa protection mais aussi pour la surveillance du passage vers la Lorraine il entreprit la construction, sur un piton rocheux, du Guirbaden qui va devenir sans doute le plus grand château-fort d'Alsace. Le château va être attaqué et partiellement détruit par le duc de Souabe Ernest II lorsqu'il entra en conflit avec son beau-père Conrad le Salique en 1024 et 1027. La place va être ensuite reconstruite pour devenir une citadelle militaire sur la route de Lorraine et le centre d'une importante seigneurie. Après la mort de Gertrude de Eguisheim-Dabo, le château et la seigneurie vont passer sous la possession de l'évêque de Strasbourg qui en confia le commandement à un personnage issu de la noblesse comme les Andlau ou les Mullenheim. D'après certaines chroniques il fut un temps occupé par les Templiers dont l'ordre sera supprimé en 1312. Le château fut ensuite engagé par l'évêché aux Hohenstein, mais le complot ourdi par Jacques de Hohenstein en 1475 pour livrer le château à Charles le Téméraire échoua grâce à l'intervention des strasbourgeois. L'évêque donna ensuite la seigneurie en fief aux Rathsamhausen.
Ni les armagnacs en 1445, ni le soulèvement des rustauds au cours de la Guerre des Paysans de 1525 ne vinrent à bout de la forteresse qui va toutefois capituler lors d'un deuxième passage des suédois en 1633. Après les traités de Westphalie le château resta propriété de l'évêché et sera confié finalement à des membres de la famille de Rohan jusqu'à la Révolution.
Les autres territoires contrôlés
Par le mariage au début du 11e siècle de Hughes IV d'Eguisheim avec Heilwige de Dabo, l'héritière du comté de Dabo (Grafschaft Dagsburg), la famille a pu agrandir ses possessions du côté de la Moselle. Si le fils aîné Gérard va hériter de l'essentiel des biens de la famille, c'est le cadet, Hughes VI qui hérita des biens de sa mère. Après la mort de Gérard, tué par Reginbald de Ribeaupierre lors d'une rixe en 1038, Hughes VI se trouva à la tête du comté. En épousant Mathilde, comtesse de Moha, région située dans le Brabant, la famille exerça son influence sur l'ensemble des régions d'Eguisheim, de Dabo et de Moha ainsi que sur le comté de Metz tenu en fief de l'évêché de Metz.
A toutes ces possessions il faut encore ajouter la seigneurie du Hohnack dans le val d'Orbey ainsi que la région de Dambach avec le château de Bernstein. Le Val d'Orbey était un alleu des Eguisheim avant de devenir un fief épiscopal détenu par les Ferrette après la mort de la comtesse Gertrude. Il en va de même pour les biens situés à Dambach et le colossal château de Bernstein dont le feudataire va être un temps le comte de Linange, dernier mari de la comtesse Gertrude.
L'importance des fonctions politiques exercées
Vers la fin du 8e siècle, les carolingiens vont procéder à une réorganisation administrative destinée à renforcer le contrôle du pouvoir central. C'est à cette époque que le duché d'Alsace a été supprimé pour être remplacé par deux comtés : le Nordgau et le Sundgau. Les comtes représentaient alors le pouvoir royal et étaient responsables de la justice, de la défense et plus globalement de la gestion des territoires confiés. Cette fonction comtale va être souvent endossée par des représentants de la famille Egusiheim-Dabo dans le Nordgau et le Sundgau.
Ce n'est qu'au début du 12e siècle que seront créés les landgraviats (de Langraf) de Haute et de Basse-Alsace. Cette fonction sera occupée le plus souvent par les Habsbourg en Haute-Alsace et par les Hunebourg, les de Werde et les représentants de l'épiscopat en Basse-Alsace.
Le nombre des fondations monastiques
Les fondations d'institutions religieuses comme les monastères permettaient aux grandes familles d'accroître leur prestige, d'obtenir des indulgences et un lieu de sépulture pour les membres de la famille, et d'assurer une meilleure exploitation des terres. Les Eguisheim-Dabo et les branches alliées vont être à la source de nombreuses fondations comme Murbach, Altorf, Woffenheim, Oelenberg et pour les Dabo de Hesse et Saint-Quirin.
La fondation la plus ancienne est Murbach par Eberhard, petit-fils d'Etichon et Pirmin l'abbé de Reichenau en 727. Eberhard fit don à l'abbaye de ses posessions dans la vallée de Guebwiller. Nous avons déjà vu que l'abbaye bénédictine d'Altorf, près de Molsheim, a été fondée par Hughes III l'enroué au 10e siècle. Le pape Léon IX, lors de son premier voyage en Alsace en 1049, va remettre au monastère une relique de saint Cyriaque, le patron des épileptiques. Hughes IV et sa femme Heilwige de Dabo vont être à l'origine du monastère de bénédictines de Woffenheim en 1006. Leur fils, Léon IX, lors de son passage en Alsace, va remettre une relique de la sainte croix. C'est une croix de pierre, érigée au 19e siècle, qui marque encore aujourd'hui l'emplacement de l'église de ce village disparu près duquel s'est développé l'actuel village de Sainte-Croix-en-Plaine. Après la mort tragique de son fils Gérard tué par Reginbald de Ribeaupierre, Heilwige de Dabo va encore fonder le monastère des augustins au bord de l'Oelen, appelé l'Oelenberg, en 1046.
C'est vraisemblablement Louis, comte de Dabo, qui est à l'origine du monastère de Hesse au 10e siècle et ce sont encore les comtes de Dabo qui ont permis l'établissement du prieuré de Saint Quirin fondé au 12e siècle sur le lieu d'un ermitage et dépendant du monastère de Marmoutier.
Les liens de parenté avec les familles régnantes
L'influence d'une famille se mesure aussi à travers les liens de parenté tissés avec les familles régnantes de l'époque. Nous avons déjà évoqué le lien qui existait avec les empereurs de la dynastie des saliens. Conrad II, dit le salique, élu roi des romains en 1024 et couronné empereur en 1027 était le fils de Henri de Franconie et d'Adélaïde de Metz née à Eguisheim. Cette parenté a sans doute favorisé l'accession de Bruno d'Eguisheim au siège épiscopal de Toul et plus tard à la papauté.
Un autre lien de parenté va se révéler moins favorable au destin de la famille ; c'est celui tissé avec la famille des Hohenstaufen. Hildegarde d'Eguisheim, qui est à l'origine de l'église Sainte-Foy de Sélestat, avait épousé Frédérc de Büren, père de Frédéric 1er duc de Souabe et grand père du 1er empereur de la dynastie des Hohenstaufen : Conrad III qui régna de 1138 à 1152. Pendant la fameuse Querelle des Investitures (1075 – 1122), Hughes VI prit fait et cause pour le parti grégorien (les Guelfes) et s'opposa aux Hohenstaufen qui soutenaient l'empereur (les Gibelins). Otton, frère de Frédéric I de Souabe et fils de Hildegarde, accéda à la fonction épiscopale de Strasbourg, et après une période d'affrontements conclut un accord de paix et invita Hughes dans sa résidence de Haslach. Ce dernier y fut assassiné par des hommes à la solde de l'évêque en 1089. Les querelles entre les Eguisheim et les Hohenstaufen vont sceller le déclin de l'influence des Eguisheim surtout après l'accession au pouvoir impérial des Hohenstaufen.
Le lien de parenté avec les Habsbourg semble être plus difficile à établir. L'ancêtre des Habsbourg serait Gontran le Riche, un frère de Hughes II et d'Eberhard IV d'Eguisheim. Le problème est de savoir si Gontran le Riche, qui a été dessaisi de ses biens par Otton I, est le même que le Gontran mentionné dans les actes de Muri. Ce lien est clairement réfuté par l'historien Christian Pfister et il semble que ce problème fasse encore aujourd'hui débat parmi les historiens.
La relation avec la famille comtale des Ferrette, quant à elle, est très ancienne puisque Hughes I d'Eguisheim épousa en 943 Hildegarde de Ferrette. Cette famille va d'ailleurs prétendre à participer à l'héritage après la mort de la comtesse Gertrude. D'autres liens de parenté sont tissés avec les comtes de Metz, de Saarebrück, de Deux-Ponts, de Flandre ou de Vaudémont.
Bruno Meistermann
Principales sources bibliographiques :
L'Alsace terre d'histoire : Lucien Sittler : Editions Alsatia Colmar 1973.
Studien zur Geschichte der Grafen von Dagsburg-Egisheim : Frank Legi : Saarbrücken 1998.
Châteaux des Vosges : G. Trendel et H. Ulrich : DNA : 1969.
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