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L'Alsace-Lorraine

 

Karl Kautsky théoricien marxiste et homme politique allemand membre du parti social-démocrate (SPD) a publié une étude historique sur la question de l'Alsace-Lorraine : Elsass-Lothringen Stuttgart 1917.

Dans cette étude il jette un regard sans complaisance sur la situation de ces provinces au cours de l'histoire et sur le débat d'idées qui agitait les milieux politiques, en particulier sociaux-démocrates, après la guerre franco-prussienne de 1870. Il nous permet de mieux comprendre la genèse des événements qui vont conduire à la Grande Guerre.

La traduction libre qui suit n'est pas intégrale mais porte sur de larges extraits de cette étude.

 

 

L'Alsace au début du Moyen Âge

 

Dès son apparition dans l'histoire, l'Alsace a toujours été une terre d'invasions.

 

Nous tenons les premières informations sur l'Alsace de César en personne. Des tribus germaniques, sous la direction d'Arioviste, avaient traversé le Rhin pour s'emparer de l'Alsace alors peuplée de gaulois d'origine celte. Les Romains ne pouvaient pas tolérer ce dangereux voisinage. Jules César battit Arioviste (58 avant JC) et les repoussa au-de-là du Rhin. Les Celtes d'Alsace passèrent de la domination germanique à celle des Romains. L'Alsace devint alors une province romaine comme le reste de la Gaule et Argentoratum, future Strasbourg, un camp retranché romain.

 

Les Romains dominèrent l'Alsace jusqu'au 4ème siècle mais allaient aussi céder la place aux hordes de tribus germaniques qui envahirent alors l’empire romain. L'Alsace fut occupée par les Alamans, qu'on appelait plus tard souabes, et qui s'établirent dans les régions du Bade-Wurtemberg, de la Bavière occidentale jusqu'à la Lech, du nord de la Suisse et de l'Alsace.

 

On ne pouvait pourtant pas encore parler de nation germanique. Une de ces tribus allait gouverner cet ensemble disparate. Ce sont les Francs qui s'avérèrent les plus forts, aidés en cela par l'église catholique romaine. L'église était devenue, au sein de l’État, l'organisation la plus forte et susceptible de fédérer le différents courants. Déjà Constantin avait compris l'importance de l'église pour triompher. Avec son aide, les Francs qui s'établirent d'abord de part et d'autre du Rhin, conquérirent la Gaule, l'actuelle France. Ils vont vaincre aussi les tribus germaniques en Allemagne et dans les Nord de l'Italie : les Alamans, les Burgondes, les Bavarois, les Lombards et finalement les Saxons.

 

Ces conquêtes allaient mettre un terme à la liberté des peuples telle qu'elle pouvait exister dans les peuplades primitives. Ces guerres interminables allaient donner naissance à une aristocratie guerrière de possédants et au système féodal. Le monde rural perdait sa liberté face aux grands propriétaires et le pouvoir royal, déconnecté du peuple, s'appuya de plus en plus sur l'église pour assoir sa souveraineté.

 

Les rois des Francs et les papes s'apportèrent un soutien réciproque et pour finir, le Pape fit couronner empereur Charlemagne (800), le successeur des Césars.

 

Il n'y a pas de lien étroit entre les seigneuries, elles se rebellent parfois contre le pouvoir central, peuvent disparaître et leurs frontières peuvent se modifier. On se soucie peut du besoin des peuples, seul compte le rapport de force changeant entre le pouvoir royal, les seigneurs et l'église.

 

L'empire des Francs qui sous Charlemagne, au début du 9ème siècle, connut sa plus grande extension devait s'écrouler avec ses successeurs pour céder la place à deux entités territoriales qui allaient aussi se distinguer par la langue, la Francie occidentale et orientale. On ne peut pas parler de nation, ce concept n'existait pas encore. Mais l'empire d'orient comprenait principalement des germains parlant des dialectes allemands comme le franc.

 

Il en alla différemment dans la partie occidentale de l'empire. C'est là que l'empire romain résista le plus longtemps, plus longtemps même qu'à Rome. La dernière fraction de l'empire romain est formée par les territoires du gouverneur Spagrius : le Nord de la France avec pour centre Parisi, l'actuel Paris. Elle fut conquise par les Francs en 486. La population parlant une langue romane était encore nombreuse et comptait parmi ces membres des gens riches et cultivés qui firent forte impression sur les classes régnantes. Le langue franque cédait la place aux dialectes issus du latin qui devinrent la langue populaire : la langue française. Les tribus germaniques quant à elles appelèrent leur langue « deutsch » c'est à dire la langue du peuple (du haut allemand diot peuple).

 

C'est à partir du neuvième siècle que français et allemands se divisèrent. Ce processus se déroula lentement et pas partout de la même manière. La frontière linguistique était souvent incertaine et mouvante. Certains éléments apprenaient les deux langues et pouvaient être affectés à l'une ou l'autre communauté linguistique selon les circonstances. La frontière entre les pays de langue française et ceux de langue allemande se déplaça progressivement vers l'Est. La langue française gagna la Bourgogne et la Lorraine et pénétra même les frontières de l'Alsace.

 

L'idée de créer un empire intermédiaire entre français et allemands se développa de bonne heure. En 8431 l'empire des Francs fut divisé en trois parties : la partie occidentale, la partie orientale et une zone intermédiaire, la Lotharingie qui comprenait outre le nord de l'Italie, le Sud-Est de la France, la Bourgogne, l'Alsace, la Lorraine, la plus grande partie des provinces rhénanes et des Pays-Bas. Cet empire éclata et la partie nord, y compris l'Alsace et la Lorraine, rejoignit l'empire allemand qui devint si puissant qu'il s'attribua la couronne impériale pour devenir le Saint Empire Romain Germanique (9622).

 

Mais on ne peut pas parler d'Etat-Nation. Le nom indique seulement que ce sont les allemands qui gouvernent un État qui contient par ailleurs de nombreux peuples non allemands. Les allemands eux-mêmes sont encore loin de ressentir l'appartenance à une nation uniforme. Les différentes tribus s'affrontèrent et l'empire n'était maintenu ensemble que par la tribu la plus forte ou plutôt par sa noblesse d'épée qui imposait sa volonté. La gouvernance de l'état était d'abord accaparée par les ducs saxons. C'est sous les souabes Hohenstaufen (1138 à 1254) que l'Empire atteignit sa plus grande gloire. Cette période révèle clairement que l'Empire n'était pas une nation. La dignité d'empereur apparaissait alors comme intimement liée aux possessions italiennes. La raison essentielle des nombreuses campagnes d'Italie menées par les Empereurs était le pillage de la riche péninsule. Les Hohenstaufen parvinrent, à partir des possessions du Nord de l'Italie, à étendre les frontières de l'empire jusqu'en Sicile. Le dernier Empereur, Frédéric II (1215 à 1250) a été élevé en Sicile et durant sa vie il était plus sicilien qu'allemand. L'Allemagne ne l'intéressait que parce qu'elle fournissait des soldats qui lui permettaient de maintenir sa souveraineté en Italie.

 

Pendant un certain temps, le pillage de l'Italie amena beaucoup de richesses en Allemagne et en particulier au duché de la famille. Le peuple commença à s'intéresser à la grandeur et à la puissance de l'Empire.

 

Sous les Hohenstaufen c'est le duché de Souabe qui bénéficia le plus de ces conquêtes. A ce duché était aussi rattaché l'Alsace. Il n'est pas étonnant de voir le peuple, ou au moins sa fraction régnante, adhérer pleinement à la grandeur de l'Empire et à la puissance de l'Empereur.

 

En ce sens on peut dire que les alsaciens n'étaient jamais aussi patriotes allemands que sous les Hohenstaufen.

 

En même temps, la connaissance de la langue française et les coutumes françaises firent leur apparition en Alsace. Ce n'est pas étonnant car l'Alsace fait partie de ces lieux de passage, pour les biens et les connaissances d'une France économiquement plus développée, vers l'Allemagne. Elle tira la plus grande partie de ses richesses de son agriculture et du négoce. Strasbourg, à la croisée des chemins allant de la France vers l'Allemagne à travers les Rhin et de l'Italie vers le Nord devint une ville riche et puissante. Deux exemples permettent d'illustrer l'influence française déjà au 13ème siècle.

 

Godefroi de Strasbourg était le plus grand poète alsacien aux alentour de 1220. Wilhelm Scherer dit de son œuvre maîtresse Tristan et Yseult : « … dans un certain sens, le Tristan de Godefroi est le roman le plus français du Moyen Âge allemand. Pas seulement à cause des nombreux mots et tournures en français qu'il emploit comme tout bon alsacien, ni par sa manière étrange de traiter les paysans d' « allemands » plutôt que de « Deutsche ». Mais si on découvre en plus la délicatesse de la forme, la conception libérale de la vie, la condamnation désinvolte de la chose morale - bref, ce que le français appelle la critique incessante du pédantisme, du dogmatisme et du rigorisme, alors on peut dire que Tristan est le livre le plus français de la littérature ancienne allemande.» (Ottocar Lorentz et Guillaume Scherer : die Geschichte des Elsasses 3ème édition Berlin 1886).

 

Si Tristan est l'exemple littéraire, le chef d’œuvre architectural alsacien de la cathédrale de Strasbourg et la contribution majeure d'Erwin dit de Steinbach sont un autre exemple. Les auteurs déjà mentionnés ci-dessus précisent :

 

« Le gothique apparaît vers 1250 à Strasbourg, Haguenau, Wissembourg, Colmar, Neuwiller etc … On a beaucoup apprit de la France. La nef de la cathédrale de Strasbourg est inspirée de Paris … C'est là-bas, dans l'église abbatiale de Saint-Denis, qu'Erwin semble avoir fait son apprentissage avant de transférer ces découvertes sur les bords du Rhin où elles ont gagné Strasbourg et Fribourg.

 

Erwin s'est formé en France. Selon toute vraisemblance il a participé à la construction de Notre Dame de Paris et a pu observer les dernières tendances de l'architecture gothique initiées par le maître Jehan de Chelles. Il a sans doute pu observer de ses propres yeux comment le génial Jean Langlois a réalisé des prouesses architecturales lors de la construction de la collégiale Saint-Urbain de Troyes. Ce sont ces expériences qui vont le stimuler. Se basant sur la façade traditionnelle française, il l'a enrichie en s'appuyant sur les dernières trouvailles et l'a en quelque sorte spiritualisée. »

 

De bonne heure, l'Alsace va transmettre des marchandises françaises et la pensée française à l'Allemagne. La réciproque était bien moins probante. Ceci tient au fait que jusqu'au 19ème siècle la France était économiquement plus avancée que l'Allemagne mais est aussi dû en partie au fait que la navigation sur le Rhin était plus aisée vers l'aval que vers l'amont. Elle livrait des marchandises à Mayence, Francfort et Cologne mais ne réceptionnait rien en retour.

 

S'il y avait déjà à cette époque un lien étroit entre l'Alsace et la France, le lien avec la Suisse va se renforcer. Ce rapprochement va être facilité par la communauté de langage. La même communauté existait bien sûr avec les alamans du Sud de l'Allemagne séparés aussi par le Rhin dont le courant et les chutes constituaient une importante barrière naturelle. Mais les rapports avec ceux-ci étaient moins étroits.

 

La croissance du pouvoir des villes face au pouvoir féodal et aux Habsbourg va favoriser l'entente avec les Suisses.

2. L'Alsace et les Habsbourg

 

La naissance des villes va bouleverser l'organisation féodale basée sur l'agriculture et la possession des terres et apporter un élément nouveau : le pouvoir de l'argent. A partir du moment où la production n'est plus orientée uniquement vers l'autoconsommation mais vers le marché, le pouvoir va s'appuyer sur de nouvelles bases. Sous l'organisation féodale les monarques n'avaient pas d'autre moyen pour s'attacher les services des fonctionnaires et des guerriers que de leur donner des terres en fief afin de leur assurer un revenu. Les feudataires les plus importants cherchaient à s'affranchir de leur suzerain, le pouvoir de l'état était faible et les frontières n'étaient pas sûres. Il pouvait même arriver qu'un même seigneur obtenait des fiefs de monarques d'états différents.

 

Ceci va changer à partir du moment ou le monarque a de l'argent. Il peut payer de temps en temps les fonctionnaires et les guerriers sans mettre en gage ses sources de revenu. Le pouvoir central va devenir indépendant de la noblesse terrienne et de l'église et évoluer vers une forme d'absolutisme. Cette évolution n'a pas été paisible mais a donné lieu à des affrontements incessants et sanglants.

 

C'est dans les villes que va naître cette nouvelle économie basée sur l'argent. Leur pouvoir va croître avec l'accroissement de leurs richesses. L'une après l'autre va se débarrasser de la tutelle de la noblesse terrienne. Strasbourg, qui s'est développée sur les terres de l'évêché, va obtenir son indépendance du pouvoir épiscopal en 1263.

 

Face aux villes, le pouvoir central avait une attitude changeante, d'un côté il était content de s'allier à elles pour faire face à l'insubordination des nobles et du clergé, et, enviant leur richesse, il leur céda contre paiement des libéralités et des privilèges. D'un autre côté il se méfiait des velléités d'indépendance et d'accroissement des possessions territoriales. Il était assez fréquent qu'il s'alliât à la noblesse pour faire opposition.

 

Une ville seule ne pouvait pas faire face à ce rapport de force. C'est ainsi qu'ont vit naître des alliances et des confédérations. La plus importante de ces alliances était la Hanse de l'Allemagne du Nord. Le première était la Ligue des villes rhénanes en 1254 à laquelle adhéra Strasbourg, Brisach, Colmar, Sélestat, Haguenau, Wissembourg et Neustadt.

 

Plus tard c'est au tour de la création de la Confédération suisse qui regroupa, outre les cantons d'Uri, Schwyz et Unterwald, les villes de Lucerne, Zurich, et Berne et leurs territoires. La naissance de ces alliances coïncide avec l'effondrement du pouvoir impérial, héritier de l'impérialisme des Hohenstaufen.

 

La richesse des villes et la production de biens se sont développées en Italie bien avant l'Allemagne. C'est ce qui incita sans cesse les guerriers allemands à traverser les Alpes pour mener campagne en Italie. Mais avec l'accroissement des richesses des villes qui attira encore davantage les armées d'envahisseurs on assiste aussi à leur volonté d'indépendance et d'accroissement de leur puissance pour se défendre. La défense des possessions italiennes devint de plus en plus difficile, les pertes de plus en plus importantes et les gains de moins en moins intéressants.

 

La politique des Hohenstaufen apporta au début de brillants résultats à l'empire et suscite encore aujourd'hui l'admiration. Frédéric Barberousse est resté jusqu'à nos jours une figure emblématique dans l'imaginaire collectif. Mais bientôt, cet impérialisme basé sur la puissance et la richesse va être une cause de la décadence.

 

Le dernier héritier des Hohenstaufen, Conrandin, va périr à l'occasion d'une bataille à Naples. Avant sa mort, l'empire était déjà en voie de désagrégation et le pouvoir impérial n'était plus qu'une ombre et perdait les possessions situées à l'étranger. C'est à cette époque que les villes allemandes connurent leur essor, gagnèrent leur indépendance et se liguèrent.

 

Ce n'est que petit à petit que les représentants du pouvoir central rétablirent leur autorité, non par la force, mais en s'appuyant les possessions territoriales de la famille pour s'imposer face aux seigneurs et au pouvoir croissant des villes et à leur volonté d'indépendance. Ce n'est pas la grandeur et la prospérité de l'empire qui inspira leur politique mais l'importance des possessions de la famille.

 

Le point de départ de cette politique impériale est donné par Rodolphe de Habsbourg, élu roi des romains en 1273. Encore un prince originaire de Souabe comme les Hohenstaufen. La plus grande partie de ses possessions se situait sur la rive gauche du Rhin, le Sud de l'Alsace et le Nord de la Suisse. Il n'était pas pauvre, c'était un seigneur puissant, mais pas non plus le seigneur le plus puissant de l'empire. Le plus puissant était plutôt le roi de Bohême et de Moravie, le Premyslide Ottokar II qui par la force et le mariage, il épousa la sœur du dernier Babenberg qui gouvernait le duché d'Autriche, réussit à régner sur ce duché, la Styrie, la Carinthie et la Carniole. C'est ainsi qu'il parvint à réunir sous sa coupe les plus importants pays de Cisleithanie. Mais l'Autriche ne sera pas gouvernée par une dynastie tchèque.

 

Rodolphe compris de suite qu'il allait être réduit à l'impuissance s'il ne parvenait pas briser la puissance d'Ottokar. Il avait la chance d'être soutenu par les grands seigneurs de l'empire alors que dans le camp d'Ottokar plusieurs révoltes éclatèrent. Ottokar fut vaincu en 1278, mis en prison et exécuté.

 

Rodolphe arracha donc l'Autriche, la Styrie, la Carinthie et la Carniole à la couronne de Bohême. C'est ainsi que la maison des Habsbourg devint la maison d'Autriche et que le centre de gravité se déplaça des frontières occidentales vers les frontières orientales. De ce fait, le lien qui unissait les Alsaciens et les Suisses aux Habsbourg devint plus ténu. Avec la puissance, la maison des Habsbourg avait aussi tendance à imposer un pouvoir absolu ce qui entraîna davantage de conflits avec les villes libres et les communautés rurales d'Alsace et de Suisse et un resserrement des alliances. De temps à autre, la couronne impériale échappa aux Habsbourg, par exemple de 1314 à 1347 où ce ce fut le duc Louis de Bavière qui fut élu et de 1347 à 1437 où ce sont les successeurs des Permyslides, les seigneurs de Bohême de la maison du Luxembourg, qui parvinrent au pouvoir. Par la suite, la couronne allait revenir à nouveau aux Habsbourg.

 

Les empereurs qui n'étaient pas de la maison des Habsbourg avaient tendance, pour affaiblir le pouvoir des concurrents, à soutenir les velléités d'indépendance des Suisses et des Alsaciens ce qui rendait ces derniers d'autant plus fidèles à l'empire et à l'empereur. Sous les empereurs de la maison des Habsbourg par contre, le combat mené contre les seigneurs féodaux devint aussi un combat contre l'empereur.

 

Les Suisses en particulier eurent de la réussite dans leur volonté de se débarrasser de la tutelle des Habsbourg. Mais avec les Alsaciens ils eurent bientôt à mener bataille sur deux fronts car un ennemi commun allait se lever à l'Ouest.

 

A côté de la mobilisation féodale, les mercenaires vont jouer un rôle important. On ne peut pas parler de véritable armée. Après chaque trêve dans les combats, les mercenaires étaient renvoyés.

La guerre qui dura plus de cent ans, jusqu'au milieu du 15ème siècle, qui opposa la France à l'Angleterre, empêcha les monarques de toute volonté d'expansion vers l'Ouest. Les invasions successives et les pillages des mercenaires en sont en quelque sorte des signes avant-coureurs. Les Armagnacs (1439 et 1445) allaient se révéler particulièrement dangereux pour l'Alsace et la Suisse.

 

Plus significative encore était la croissance de la puissance de la Bourgogne. Les ducs de Bourgogne profitèrent de la guerre pour tenter d'établir entre l'Allemagne et la France un empire du milieu allant des Alpes à la mer du Nord, à la manière de l'ancienne Lotharingie. Dans notre écrit consacré à la Belgique et la Serbie nous avons signalé que les ducs de Bourgogne régnaient sur les Flandres. Ils s'arrogèrent d'abord les Flandres (1384), puis le Brabant (1430) et enfin la Hollande et la Zélande. Parallèlement ils ont réunit à la Bourgogne française le comté allemand de Bourgogne (actuellement Franche-Comté). Ils étaient donc sujets allemands et français et menaçaient les deux entités.

 

Cet impérialisme bourguignon connut son paroxysme sous Charles le Téméraire (1467 à 1477). Il chercha à réaliser cet empire du milieu en soumettant l'Alsace et la Suisse et en s'accaparant de la Lorraine. Les trois faisaient d'ailleurs partie de l'empire allemand. On pourrait donc penser qu'il allait rencontrer l'hostilité de l'empereur d'autant plus qu'il s'agissait de Frédéric III, un Habsbourg (1440 à 1493).

 

En réalité Charles ne rencontra que peu de résistance et même, de temps à autre, ils œuvraient de concert. Charles était immensément riche, du fait en particulier des possessions dans les Flandres, et les Habsbourg étaient constamment en manque d'argent. Ajouté à cela, comme nous l'avons déjà indiqué, le centre de gravité de leur pouvoir politique s'était déplacé à l'Est. Ils ne trouvèrent pas d'objection à transférer le Sundgau, le landgraviat d'Alsace et du Brisgau, au bourguignon pour 80000 florins (1469). Sur le plan formel, la transaction a été conclue entre Charles le Téméraire et le duc du Tyrol Sigismond, landgrave d'Alsace et cousin du roi. Mais l'empereur Frédéric III était au courant et approuva ce traité.

 

Parallèlement l'empereur était en pourparler pour livrer aussi la Lorraine, il pensait certainement faire encore une affaire bien meilleure que l'affaire alsacienne pour sa famille. Il avait projeté le mariage de Marie, l'héritière du duc de Bourgogne avec son fils Maximilien et par là, récupérer un jour tout ce qu'il cédait à la Bourgogne. Ce projet ne devait pas aboutir car les deux contractants se méfiaient trop l'un de l'autre. Ce n'est qu'après la mort de Charles le Téméraire que Maximilien épousa la riche héritière. La maison des Habsbourg n'apporta aucun soutien aux villes libres impériales et aux territoires situés en Alsace et en Suisse pour contrer les attaques des bourguignons. C'est de leur propre chef qu'ils parvinrent parfois à se défendre. Le lien avec l'empire s'en trouva amoindri et leur volonté de coopération renforcée. Legrelle3 nous apporte une illustration pertinente de cette volonté de coopération .

 

« On signe un alliance défensive et offensive entre Strasbourg et Bâle en 1329. Vers 1333, lors du siège de Schwanau, les Strasbourgeois furent soutenus par des hommes armés en provenance de Berne, Lucerne, Bâle et Fribourg. Au courant de l'année 1363, le Sénat et l’Évêque de Strasbourg se portèrent à la tête d'une alliance regroupant des Alsaciens et des guerriers de Bâle et de Fribourg pour contrer l’invasion des bandes de mercenaires anglais. Soleure, Zurich, Lucerne et même Zug et Glarus se joignirent au mouvement. Lorsqu'en 1365 Arnaud de Cervole s'approcha de l'Alsace, les Bâlois écrirent au magistrat de Strasbourg pour s'assurer du soutien de son armée contre ces envahisseurs dont on prétendait qu'ils étaient mobilisés par l'empereur pour mâter les Suisses. Dix ans plus tard, lorsque Enguerrand de Coucy, beau fils du roi d'Angleterre, pénétra en Alsace à la tête de nouvelles bandes de mercenaires Anglais, Bretons, Italiens et même Allemands, c'est Berne qui apporta son soutien ».

 

Pendant l'invasion des Armagnacs au 15ème siècle les villes Suisses apportèrent leur soutien à l'Alsace. Pour prouver l'efficacité de l'aide que Zurich pouvait apporter à Strasbourg une équipe de jeunes gens de Zurich s'embarqua sur le Rhin pour rejoindre Strasbourg. Ils ramèrent si fort qu'ils rejoignirent Strasbourg en une journée et purent placer sur la table du gouverneur une bouillie de millet encore tiède (1456). L'épreuve fut reconduite en 1576 à l'occasion d'un festival de tir qui était très fréquenté par des archers Suisses. Le poète Alsacien Jean Fischart les glorifie dans un de ses poèmes « das glückhafte Schiff von Zurich ».

 

Les victoires des Suisses sur Charles le Téméraire son bien connues : Granson, Morat et Nancy. On se souvient moins de la participation des villes alsaciennes à ces combats. Des chevaliers strasbourgeois ont participé à la bataille de Granson, des troupes de Strasbourg , Colmar, Sélestat, Kaysersberg, Munster, Turckheim et Mulhouse étaient engagées à Morat. Ils étaient aux avant-postes et s'emparèrent de 13 bannières bourguignonnes. A la bataille de Nancy, Strasbourg envoya encore un contingent de cavaliers et si l'on en croit la tradition, ce serait un strasbourgeois qui aurait tué Charles le Téméraire. De tout façon Strasbourg récupéra comme butin de guerre son armure et de nombreux drapeaux bourguignons.

 

Un nouveau lien entre les villes alsaciennes et la confédération suisse se développera au moment de la Réforme.

  1. L'Alsace au temps de la Réforme

 

Avec le développement de la production le rôle de l'état de qui dépendaient financièrement les fonctionnaires et les mercenaires se renforça. En même temps le savoir laïque gagna en importance par rapport au savoir religieux. L'église perdait de son pouvoir face à l'état . Le pape, le serviteur des serviteurs de Dieu, cessa de contrôler les monarques. L'église resta cependant encore longtemps l'organisation la pus forte de l'état et les hommes restèrent prisonniers des modes de pensée prônées par elle.

 

Si les monarques gagnaient en indépendance ils n'étaient pas pour autant indifférents par rapport à l'église et comptaient bien s'appuyer sur la force qui lui restait pour en faire un outil au service de l'absolutisme.

 

Les monarques les plus puissants de l'époque, les Valois (1328 à 1589) et plus tard les Bourbon en France ainsi que les Habsbourg en Autriche et en Espagne étaient assez puissants pour imposer leur volonté même au Pape. Leurs adversaires devaient s'imposer, s'émanciper de la tutelle du Pape, pour s'opposer à l'absolutisme croissant. Ceci vaut pour le roi d'Angleterre, pour les seigneurs propriétaires allemands, les villes et toute la féodalité. C'est une des causes profonde du développement de la Réforme. Cette conjonction d'intérêt entre la papauté et les Habsbourg conduisit inexorablement au développement d'une opposition au Pape.

 

Différents éléments de la société s'opposèrent au Pape et le mouvement de la Réforme ne présenta pas partout les mêmes caractéristiques. Les seigneurs propriétaires allemands voulurent l'indépendance par rapport à l'empereur et la liberté pour eux, pas pour le peuple. Ils voulurent seulement s'affranchir de l'absolutisme du pouvoir impérial pour imposer leur pouvoir. Cette tendance se retrouve dans l'enseignement de Luther et pris naissance en Saxe, le pays du duc qui, après les Habsbourg, était le plus puissant de l'empire.

 

Les villes suivirent une autre direction. L'enseignement qui leur convenait le mieux était celui qui se développa en Suisse, le pays ou les villes les plus importantes accédèrent à la plus grande autonomie. Le fondateur de cette tendance partie de Zurich a été Zwingli.

 

Toutes ces tendances se retrouvent en Alsace. Dans les régions soumises à la maison des Habsbourg la primauté de la Papauté fut imposée par la force. Elles restèrent donc catholiques. Dans les villes impériales il en alla différemment, en particulier à Strasbourg qui s'est débarrassée de l'emprise de l’Évêque et qui a développé sa puissance, sa richesse et ses possessions territoriales. Compte tenu de ses liaisons étroites avec la Suisse, la ville a suivi l'enseignement de Zwingli. Mais sa situation géographique ne lui permettait pas d'avoir la même indépendance que Zurich et Berne. Elle avait besoin du soutien des seigneurs territoriaux protestants.

 

C'est ainsi que se sont installés à Strasbourg les doctrines de Luther et de Zwingli. L'église de Strasbourg cherchait un compromis susceptible de réconcilier les deux tendances. Le principal représentant de ce courant était Martin Bucer, né à Sélestat en 1491 et actif à Strasbourg en tant que réformateur depuis 1523. L'église d'état créée par lui en 1529 gagna en influence au delà même du territoire de la ville. Bucer devint l'âme de la Réforme pas seulement à Strasbourg mais en Souabe, en Hesse et dans l'ensemble des pays du Nord de l'Allemagne. En même temps il garde un œil sur la France et ne manque pas une occasion de promouvoir les Évangiles.

 

La poursuite du mouvement réformateur va bientôt précipiter Strasbourg dans une relation plus étroite avec la France et ceci par deux voies très opposées.

L'enseignement de Zwingli était suivi par les villes de Suisse allemande. Mais dans les villes françaises l'esprit de révolte contre le Pape se développa aussi et en même temps contre le roi de France. C'est Jean Calvin, né en Picardie en 1509, qui fut le fondateur de ce courant. A travers lui, le courant républicain de la Réforme, qui dans la forme de Zwingli avait un caractère local et cantonné à l'Allemagne du Sud, va atteindre une dimension internationale, de l’Écosse à la Hongrie, et donner à la colonisation de l'Amérique du Nord son caractère. Après Genève ou Calvin va d'abord délivrer son enseignement, aucune ville n'avait autant d'importance pour le développement du mouvement que Strasbourg.

 

Le mouvement réformateur allemand gagna très tôt des adeptes en France qui émigrèrent de préférence à Strasbourg. Parmi eux se trouva d'ailleurs Calvin (1534) qui rédigea son œuvre fondamentale à Strasbourg ou dans la ville de Bâle située à proximité (Institutio religionis Christianae). En 1536, les réformateurs de Genève l'appelèrent dans leur ville qui venait d'acquérir son indépendance par la lutte contre le duc de Savoie et d'entrer dans la Confédération. Mais les réformateurs ne réussirent pas à prendre le pouvoir et furent chassés en 1538.

 

« Calvin gagna en notoriété en tant que prédicateur des communautés d'émigrés français à Strasbourg. Calvin resta trois années à Strasbourg, une période importante dans sa vie puisqu 'il y fonda un foyer en épousant Idelette von Büren durant l'été 1540 et qu'il prépara son avenir politique et en tant que réformateur. Il entra en contact avec la réforme allemande, en particulier avec Melanchton, et parvint à adoucir les différences entre le protestantisme allemand et français. Il participa même aux grands débats théologiques de Worms et de Ratisbonne et se montra particulièrement attaché à l'indépendance des prédicateurs allemands par rapport à l’État. » (Philippson, Westeuropa im Zeitalter von Philipp II).

 

Les réformateurs reprirent le pouvoir à Genève en 1541 et rappelèrent Calvin. Mais la ville de Strasbourg resta très liée aux calvinistes appelés aussi huguenots.

 

« On estime que ce sont 1500 huguenots qui bénéficièrent de l'hospitalité de la ville de Strasbourg à l'époque de Calvin. Le Magistrat de la ville de Strasbourg fit établir en 1541 une liste des huguenots, car ceux-ci commencèrent à être remuants, pour freiner l'immigration. Malgré cette surveillance on a pu constater en 1576 que l'année précédente 15 398 français séjournèrent dans la ville. Le chroniqueur Sebald Bühler prétend qu'il y avait des périodes où cette population représentait un tiers des habitants. » (Legrelle Louis XIV et Strasbourg).

 

La ville de Strasbourg n'entra pas seulement en relation avec les huguenots mais aussi leurs poursuivants les rois de France car avec eux ils avaient un ennemi commun : les Habsbourg.

 

Après la mort de Charles le Téméraire (1477) la maison de Habsbourg gagna en puissance. Par le mariage de Maximilien avec la fille de Charles elle parvint à récupérer l'héritage bourguignon. Aussitôt après, le mariage du fils de Maximilien, Philippe, avec Jeanne de Castille et d'Aragon lui apporta les possessions espagnoles. Sous le règne du fils de Philippe, Charles Quint, qui succéda à son grand père, la maison de Habsbourg devint de loin la plus importante puissance non seulement des pays de l'empire mais de l'ensemble des pays d'Europe.

 

Cet empire allait être partagé, le frère de Charles Quint, Ferdinand 1er se vit octroyer les possessions autrichiennes tandis que le fils de Charles Quint , Philippe , obtint les possessions espagnoles. Mais les deux lignées restèrent solidaires pour faire face aux ennemis communs : la couronne de France et les protestants allemands.

 

Les princes protestants allemands n'étaient pas toujours solidaires et furent souvent divisés par des jalousies incessantes et des intentions cachées et entre eux et avec les villes impériales la confiance n'était pas toujours de mise. Les villes comprenaient très bien que ces princes ne combattaient l’absolutisme de l'empereur que pour mieux installer leur propre pouvoir alors qu'elles souhaitaient limiter les deux pouvoirs. Quand aux princes protestants, ils ne souhaitaient pas voir les villes accroître leur indépendance et leur puissance. Cette situation paralysa toute action contre les Habsbourg et favorisa le développement du mouvement de Contre-Réforme. Les Habsbourg auraient pu réussir à rétablir leur autorité et à transformer leurs possessions et les états allemands en un état unique si leurs ennemis n'avaient pas obtenu l'aide de l'étranger : c'est à dire la France et la Suède. Cette aide n'était pas désintéressée et les auteurs allaient être richement rétribués.

 

Déjà en février 1531 4 villes impériales en accord avec la ligue des princes protestants de Smalkalde s'adressèrent à François 1er pour lui demander de l'aide dans le but de défendre la « liberté allemande ». Cette démarche resta sans effet si ce n'est des échanges d'amabilités entre Strasbourg et le roi de France qui n'était pas en mesure d'intervenir en Allemagne. Mais le danger de voir les Habsbourg tout-puissants en Allemagne était bien réel quand Charles Quint réussit, en échange d'importantes promesses, à attirer à lui le duc protestant Maurice de Saxe et à parvenir avec son aide à détruire la Ligue de Smalkalde (1547). Maurice gagna au détriment de son cousin Jean Frédéric la plus grande partie de la Saxe et le titre d'électeur qui alla donc de la ligne Ernestine à la Ligne Albertine des Wettiner. Mais cela n'a pas suffi à l'insatiable Maurice car il n'était pas dans son intérêt de voir l'empereur trop puissant par rapport aux seigneurs. Après les avoir trahi, il se mit à la tête de la ligue des princes protestants pour s'opposer à l'empereur.

 

Pour faire face à des soucis d'argent, cette ligue s'adressa au roi de France Henri II, le successeur de François 1er. Ils conclurent en 1552 un traité par lequel, en échange de son aide pour le maintien de la « liberté de l'Allemagne », ils lui attribuaient les évêchés de Metz, Toul et Verdun. Le roi de France occupa aussitôt ces évêchés.

 

Cet accord est une preuve de malice et d'esprit de prédation et les professeurs allemands qui trouvent une excuse aux princes allemands n'en sont même pas embarrassés. Le professeur Wilhelm Maurenbrecher, historien à l'université de Koenigsberg, écrit ceci (1870) :

 

« La cession temporaire des évêchés lorrains à l'allié français nous semble être un acte de désespoir et de défense contre un empereur non-allemand, un acte que nous n'avons pas le courage de juger … nous voyons clairement que cet acte a été dicté par l'urgence de la situation.

 

Par contre notre indignation face à l'occupation française progressive de l'Alsace au 17ème siècle reste pleine et entière... c'est l'histoire d'un affront indélébile »

 

Ce n'était pas encore le moment de parler d'Etat-Nation même si la religion cessa de dicter les choix politiques. La politique était encore un affaire de dynasties. Comme les princes, l'empereur se souciait peu du bien-être de l'empire et davantage des intérêts de sa maison. Les princes protestants, pour préserver leurs intérêts, permirent à la France d’agrandir ses territoires au détriment de l'empire. L'empereur fit de même au bénéfice de l'Espagne quand Charles Quint lui attribua les Pays-Bas et le comté de Bourgogne lors du partage entre la lignée autrichienne et espagnole. Plus tard, un Habsbourg alla même jusqu'à proposer l'Alsace à la couronne espagnole.

 

« Le 20 mars 1617, l'émissaire espagnol, le comte Onjate passa un accord avec l'archiduc d'Autriche Ferdinand, qui allait devenir plus tard empereur, pour transférer à Philippe III et à ses descendants les possessions en Alsace, le bailliage de Haguenau et le comté d'Ortenau ainsi que le fiefs impériaux italiens … Par cet accord, la seule question qui se posait à l'Alsace était de savoir si elle allait devenir espagnole ou française. Ces faits semblent expliquer que beaucoup d'alsaciens penchaient plutôt pour l'attachement à la couronne française. On peut le regretter mais cette tendance va avoir une signification historique mondiale. » (Lorenz et Scherer Geschichte des Elsasses).

 

Expliquer toutes les vicissitudes liées aux guerres de Religion , qui entraînèrent de plus en plus les français dans la guerre contre l'empire, nous mènerait trop loin. L'affrontement entre les princes protestants et l'empire allait se révéler dans la Guerre de Trente Ans. Chaque partie campait sur ses positions et visait une victoire finale qui allait conduire à la banqueroute totale. Sans l'aide de l'étranger, la Suède et la France, les princes protestants n'auraient pas pu se défendre.

 

Les Suédois vont entrer en 1630 dans cette guerre qui a débuté en 1618. Mais eux-aussi étaient incapables, à la longue, de défendre la cause des protestants. Déjà en 1634 celle-ci semblait perdue, alors les princes protestants du Sud de l'Allemagne, qui étaient liés par l'accord de Heilbronn, s'adressèrent à la France pour obtenir de l'argent et des troupes et donner en échange l'Alsace. Un an plus tard ce sont les Suédois qui vont passer un accord avec la France.

 

Bernard de Saxe Weimar, un soldat valeureux de la branche ernestine des Wittener, dépossédée par Maurice de Saxe, chercha à tirer profit de cette situation. Il avait pour ambition de profiter de cette période de troubles pour se constituer sa propre principauté. Il essaya d'abord en Franconie mais sans succès. C'est alors qu'il se tourna vers l'Alsace. En tant que représentant de la France et avec l'argent français, il envoya ses mercenaires à la conquête de l'Alsace. La situation entre les parties était tout aussi emprunte d'hostilité et de mensonges que celle qui existait entre l'Autriche et Wallenstein. Après la conquête de la presque totalité de l'Alsace celle-ci va se dénouer par la mort brutale de Bernard. Il est mort de manière imprévisible à l'âge de 35 ans en 1639. On accusa le roi de France de l'avoir fait empoisonner mais cette accusation n'a jamais pu être prouvée.

 

Après sa mort la France acheta son armée qui passa directement sous commandement français et les possessions conquises passèrent sous le contrôle de la France. Ce sont donc des princes protestants allemands qui conduisirent la France en Alsace.

 

La paix de Westphalie de 1648 mit un terme à cette tuerie et attribua à la France les possessions impériales et celle de la maison des Habsbourg en Alsace. Les clauses du traité étaient si imprécises qu'il n'était pas difficile à Louis XIV de formuler d'autres prétentions sur des territoires alsaciens. Les armées française franchirent à plusieurs reprises le Rhin pendant la guerre de Hollande (1672 à 1679) et le roi de France occupa Strasbourg en 1681.

 

Le comportement des strasbourgeois à l'époque n'était pas uniforme. D'un côté on trouve des éléments qui tiennent fermement à l'indépendance de la ville. De l'autre il y a ceux qui pensent que l'indépendance ne permettrait pas de défendre l'Alsace convoitée par les grandes puissances. Parmi ces derniers il y avait ceux qui prônaient une alliance de la ville avec les Habsbourg et ceux qui souhaitaient un rapprochement avec la couronne de France. Ces derniers l'emportaient de plus en plus. Pas seulement parce que la politique menée par un Richelieu ou un Mazarin se révélait être plus pertinente que celle des Habsbourg et se rapprochait davantage des aspirations des classes dirigeantes strasbourgeoises, mais aussi parce que les représentant des Habsbourg étaient hésitants, indécis, ignorants. trop attachés à des aspects formels, apathiques et parfois brutaux et de ce fait les rebutaient.

 

Évoquant les puissances prises en considération par la ville de Strasbourg à l'époque de l'annexion française, Lorenz dit sans détour :

 

« La faute revenait au fait que les virtuoses et les maîtres de chapelle au service des Habsbourg étaient maladroits et pas de taille à affronter les diplomates de Louis XIV. »

 

A cela il faut ajouter les affinités qui liaient Strasbourg à la France depuis longtemps et la déchéance économique et politique de l'Empire qui faisait qu'un rapprochement avec lui était perçu plutôt comme une charge.

 

Au début de la Réforme l'Allemagne avait réussi à se hisser parmi les nations européennes les plus florissantes sur le plan économique. Cet enrichissement résultait des mines d'or et d'argent de Bohême et de Saxe qui étaient parmi les plus productives d'Europe. La noblesse de ces pays s'enrichissait et faisait partie des plus puissantes d'Allemagne.

 

L'époque des découvertes allait apporter un bouleversement dans les échanges, les pays limitrophes de la mer Baltique et de la Méditerranée étaient supplantés par ceux du bord de l'Océan Atlantique et les mines allemandes par celles découvertes en Amérique.

 

Le déclin économique qui en résulta et la Guerre de Trente Ans engendrèrent la misère, désorganisèrent l'empire et scellèrent sa désagrégation.

 

C'est pendant la Guerre de Trente Ans que les Suisses se séparèrent définitivement de l'empire et que le lien avec l'Alsace s'est distendu. Ils voulaient se tenir éloignés de l'empire et des conflits qui y étaient rattachés. Grimmelshausen décrit avec pertinence dans son Simplicisimus comment, en se séparant d'un empire dévasté par ses princes, la Suisse gagna en prospérité. Le héros du roman, un guerrier de l'époque, raconte comment il lui est arrivé de participer à un pèlerinage :

 

«Ma participation n'a pas été dictée par la dévotion mais le désir de voir la confédération, le seul pays où régnait encore la paix …

Le pays me semblait si étranger aux autres territoires allemands que je connaissais, comme si j'étais au Brésil ou en Chine. Je vis les gens aller et venir, négocier, les étables étaient pleines de bétail, les fermes remplies de métayers, d'oies et de canards, les routes pouvaient être parcourues en toute sécurité par les voyageurs et les auberges étaient remplies d'une foule joyeuse. On ne ressentait aucune peur de l'ennemi, aucune peur de perdre ses biens ou sa vie. Chacun vivait en toute sécurité au pied de son cep de vigne ou de son figuier en ayant conscience, par rapport aux pays allemands, de nager dans le bonheur et la prospérité.(Grimmelshausen : der abenteuerliche Simplizissimus herausgegeben von J. Tittmann 1877)

 

A l'opposé, l'empire apparaissait comme un enfer, s'en séparer était la voie du salut. Il n'est pas douteux que les alsaciens n'aspiraient qu'à suivre l'exemple suisse. Mais leur situation géographique était moins favorable. Ce n'est qu'en se pliant à l'absolutisme français qu'ils purent échapper au chaos allemand.

 

La ville de Mulhouse avait plus de chance. Dès 1515 elle rejoignit la Confédération et en resta membre jusqu'à la Révolution. En 1797 elle demanda et obtint son union à la République Française. Cette ville alsacienne réussit à se tenir à l'écart de l'absolutisme au 17ème et 18ème siècle.

 

« Les mulhousiens rêvent encore aujourd'hui de transformer l'Alsace et la Lorraine en république suisse, la solution idéale pour régler la question de l'Alsace et de la Lorraine . »

(Herkner : die oberelsässische Baumvollindustrie 1887).

 

Les strasbourgeois se montraient indéfférents à l'égard de l'absolutisme français et ne se sentaient guère capables de s'y opposer. Ils ne participaient pas à la gouvernance de la cité qui était réservée à une aristocratie triée sur le volet et aux chefs de corporations. Et l'appartenance à l'empire les avait conduit à la ruine :

 

« Strasbourg était dans l'abîme. Les guerres avaient ruiné l'exportation. La population diminuait , l'inflation frappait les denrées alimentaires et les dettes des particuliers et des communes s'envolèrent. A cela il convient d'ajouter que le créancier principal n'était autre que le roi de France qui par ses lettres de créance tenait en ses mains le destin de la ville. « Lorenz et Scherer : die Geschichte des Elsasses).

 

On comprend donc que le rattachement à la France apparaîssait à beaucoup de strasbourgeois comme la meilleure des solutions.

 

Bien que plus francisée que l'Alsace, la Lorraine ne rejoigna la France que plus tard. Comme il est dit plus haut, la France avait déjà occupé les trois évêchés Metz, Toul et Verdun en 1552. Depuis, à plusieurs reprises la France occupa la Lorraine mais abandonna le projet. La Lorraine devint française grâce à une affaire traitée par les Habsbourg avec la France par laquelle les Habsbourg cèderaient la possession impériale de la Lorraine contre un accroissement territorial de la dynastie en Italie.

 

L'empereur Charles VI n'avait qu'un enfant, Marie Thérèse, qui d'après les statuts de la maison des Habsbourg ne pouvait pas être héritière. Pour assurer son avenir il créa un nouveau statut, la Pragmatique Sanction, et s'efforça de le faire admettre par les grandes puissances dont la France. François Etienne de Lorraine fut presssenti pour épouser MarieThérèse. A la même époque, la famille Médicis qui gouvernait la Toscane était en voie d'extinction. Devant ces circonstances on proposa l'échnage suivant : les maisons d'Autriche et de France se mettent d'accord pourque la Lorraine aille à la France (de manière indirecte puisque le duché alla d'abord au beau-père de Louis XV, le roi polonais déchu Stanislas Lesczinski), en échange François Etienne obtiendrait la Toscane. En outre, la maison de Habsbourg obtiendrait l'accord pour l'entrée en vigueur de la Pragmatique Sanction.

 

C'est de cette manière qu'était gouverné à l'époque l'empire et il n'est donc pas étonnant que l'empire ait perdu toute force d'attraction.

 

4. L'alsace province française

 

a. L'ère de l'absolutisme

 

Les hommes politiques français déployèrent, pour conserver l'Alsace, la même ingéniosité que celle qu'ils ont déployée pour la conquérir. La France eut à souffrir au 17ème et au 18ème siècle de l'absolutisme de la monarchie et d'un féodalisme décadent. Mais la situation était parfois pire dans les territoires allemands limitrophes, administrés de manière despotique, et qui parfois vendaient les enfants du pays pour servir de mercenaires à l'étranger.

 

Même un patriote allemand comme Lorenz reconnaît que le rattachement à la France a bénéficié à l'économie alsacienne :

 

« Le gouvernement fit tout pour favoriser l'essor du commerce et des échanges, l'amélioration des méthodes de culture et l'industrialisation. Il faut mettre au crédit de Colbert d'avoir exonéré de taxes les biens échangés dans la province et en France. La navigation sur le Rhin a été ouverte à la compagnie strabourgeoise de navigation jusqu'à Mayence. Il fut accordé jusqu'à 12 ans d'exonérations aux fermes dont les terres étaient en jachère pour les rendre fertiles. L'état prit en charge la sécurité et l'entretien des routes. On amélora le sytème des postes etc …

 

Dans les villes, avant l'annexion par la France, ce sont les familles nobles règnantes qui étaient habilitées à prononçer le droit et dans les campagnes la loi relevait du propriétaire et parfois de l'arbitraire des fonctionnaires... » (Lorenz et Scherer Geschichte des Elsasses)

 

Legrelle complète ce tableau en relevant les travaux réalisés pour le développement du réseau de canaux, ce qui va favoriser le développement économique au 18ème siècle.

 

Parmi les classes sociales favorisées par l'annexion il faut citer les juifs qui étaient jadis très oppressés. En 1570 Maximilien II a confirmé à la ville un privilège qui interdisait aux juifs tout commerce. Il leur était interdit de passer une nuit dans les murs de la cité. Ces dispositions ont été petit à petit abolis sous la souveraineté française. Les juifs ont été bien traités et leur population a augmenté. On en comptait vers 20 000 avant 1789. (Legrelle)

 

L'augmentation rapide de la population témoigne de l'amélioration de la situation économique. De 245000 habitants en 1648 l'Alsace passe à 257000 en 1697, 450000 en 1748 et 711000 en 1792. (Legrelle)

 

Toutefois, selon Lorenz et Scherer, l'Alsace dut faire face à toute une série de contraintes politiques et religieuses. Mais si on compare ces contraintes à celles infligées par les pays voisins ou par les pays sous domination habsbourgeoise, alors on doit conlure qu'elles étaient moins sévères et que l'Alsace sous le nouveau régime avait plutôt une situation privilégiée.

 

C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le traitement des protestants qui étaient très nombreux en Alsace. Sauf dans les possessions des Habsbourg où ils étaient violemment chassés. Au moment de l'occupation de la ville de Strasbourg Louis XIV inaugura une des plus cruelles politique d'éradication des protestants. L'édit de Nantes qui leur accordait une forme de tolérance fut révoqué en 1685, l'enseignement évangélique fut dans une certaine mesure poursuivi à tel point que les habitants des Cévennes se révoltèrent de 1702 à 1704 contre cette politique ce qui entraina environ 100 000 morts. En Alsace par contre le protestantisme était moins réprimé. Starsbourg put garder sa constitution et son ordonnance écclésiastique. L'université de Strasbourg garda son caractère allemand et protestant. Parmi les professeurs allemands se trouvait le célèbre Daniel Schoepflin (1694 1771) né dans le Pays de Bade et protestant. Il obtint une nomination à l'université de Vienne sur recommandation du futur empereur Joseph II mais il déclina l'offre car il fallait aussi opter pour le catholicisme.

 

De nombreux allemands étudiaient à Strasbourg et parmi eux il faut citer avant tout Goethe qui y obtint en 1770 son doctorat. Son idylle de Sessenheim s'est déroulée dans la maison d'un pasteur. Dans son essai Poésie et Vérité il relate son séjour en Alsace sans jamais faire allusion à une oppression ou à une intolérance religieuse.

 

La situation privilégiée de l'Alsace dans la monarchie absolue française s'explique seulement par sa situation frontalière face à l'empire allemand. Le gourvernement français était assez intelligent pour comprendre que l'on ne gagne pas l'adhésion d'un peuple conquis par la violence ou en le poursuivant. Et la méthode française porta ses fruits, même sous le règne décadent de Louis XV l'Alsace ne demanda pas sa réintégration à l'empire allemand.

 

« Pendant la Guerre de Succession d'Autriche (1741 à 1748) les régiments hongrois de cavalerie de Marie Thérèse parcoururent l'Alsace en semant la terreur comme jadis les armées des petit-fils de Charlemagne...Lorsque Menzel, colonel des Hussards et des Pandours, exigea dans un manifeste que les alsaciens réintègrent l'empire, ceux-ci ne se trouvèrent guère impressionnés. L'accueil de Louis XV en Aslace en 1744 fut d'autant plus chaleureux.(Lorenz et Scherer) »

 

Telle était la situation avant la Révolution. Il est faut de croire que c'est seulement elle qui tissa le lien qui allait unir l'Alsace à la France mais elle va le renforcer.

 

b. La Révolution

 

L'Ancien Régime avait apporté à l'Alsace sa prospérité et sa singularité. La Révolution va abolir non seulement les privilèges mais aussi les provinces en proclamant l'unité nationale où tout le monde bénéficierait des mêmes droits et s'obligerait aux mêmes devoirs. Cette situation allait consacrer la supériorité militaire de la France sur l'Empire et par la démocratie stimuler l'adhésion du peuple. Si l'Alsace avait trouvé un avantage matériel à l'annexion française, ce lien va devenir une affaire de coeur et susciter l'enthousiasme.

 

Certes, la démocratie n'apporta pas la paix sociale mais renforça aussi la lutte des classes. Lorsque les révolutionnaires furent amenés à combattre l'ennemi de l'extérieur il eurent aussi à faire face aux mouvements contre-révolutionnaires à l'intérieur du pays. Mais quand Lorenz et Scherer qualifient ces affrontements « luttes des races » ils font ausse route. Ernest Ludwig dans son essai « Das Elsass während der französischen Revolution » remarque que les affrontements qui se firent jour en Alsace pendant la Révolution étaient d'origine sociale comme ceux qui existaient ailleurs en France.

 

Si la révolution avait conduit à un affrontement racial entre français et allemands, le fait que la Révolution a renforcé les lien de l'Alsace avec la France serait incompréhensible. Et c'est un réalité que personne ne conteste, même les professeurs. En 1870, Treitschke dans son étude « Was fordern wir von Frankreich » dit ceci :

 

« C'est la révolution qui donna aux alsaciens le sentiment d'appartenir à un état. Elle souda les petites seigneuries encore existantes au territoire français et détruisit ici comme ailleurs les privilèges liés à la province... Ces bouleversements apprirent aux alsaciens comme aux autres français à oublier leur passé. C'est là que réside le fondement du sentiment moderne d'appartenance à l'état français, la source du mal : la Nation a rompu avec son histoire ... »

 

Après cette complainte sur le manque de respect devant les professeurs de l'histoire ancienne Treitschke poursuit en évoquant les destructions qu'il qualifie tantôt de guerre entre jacobins et modérés, tantôt, comme Scherer et Lorenz, de combat contre l'Allemagne :

 

«Pendant  que la ville sombra face aux horreurs, la population fut de plus en plus convaincue des bienfaits de la Révolution. Le paysan qui supportait de lourdes charges féodales, du jour au lendemain, après la nuit du 4 août, devint un propriétaire libre. Dans les autres régions françaises où règnait le bail à moitié où d'autres formes contraignantes de baux les nouvelles lois ne changèrent pas grand chose à la condition des paysans. Paradoxalement, les paysans allemands de France bénirent la Révolution pendant que les paysans français de Vendée la combattirent.

 

Le vieux défi de la liberté des allamans se réveilla ; les paysans alsaciens rallièrent les drapeaux de la République et s'accrochèrent à deux idées de la pensée républicaine, méprisées auparavant, l'idée fanatique d'égalité détestée par ceux qui sont attachés au féodalisme et celle d'appartenir à la classe populaire qui, jadis, a renversé le pouvoir par la force des baïonnettes. Le comte Wurmser, un noble alsacien qui commandait les troupes autrichiennes à Wissembourg ne cache pas sa volonté de rétablir les droits féodaux à la pointe de son épée. La guerre apparaissait donc au paysan alsacien comme un combat pour la liberté et la propriété des terres. 

 

Après la défaite des troupes prussiennennes et autrichiennes l'empire allemand s'écroula. Les alsaciens Pfeffel et Matthieu servirent d'intermédiaires au sombre marchandage qui permit aux princes allemands de se partager les lambeaux. »

 

Tout cela est vrai, mis à part le défi de la liberté des allamans. Il faut être un professeur allemand d'histoire pour mettre en relation l'attitude des alsaciens pendant la révolution avec le défi libertaire des allamans qui était plutôt la conséquence de la situation sociale du moment. Toutes les autres tribus se comportaient de la même manière.

 

Treitschke n'analyse pas toutes les causes qui firent adhérer les alsaciens à l'esprit révovlutionnaire. Ce ne sont pas seulement les paysans qui profitèrent de la situation révolutionnaire mais aussi les capitalistes, les intellectuels, le petits bourgeois et même les prolétaires des villes. Sur le plan politique ils gagnèrent plus de liberté de mouvement et sur le plan économique l'abolition des barrières douanières favorisa le développement du marché intérieur et de l'industrie.

 

«dans le Haut-Rhin, l'industrie avait atteint une importance nationale qu'elle ne connaissait pas auparavant »(Herkner Die oberelsässische Baumwollindustrie 1887)

 

D'un autre côté, maintenant que la France était protégée par des barrières douanières communes, la politique douanière pouvait devenir plus rationnelle. Parallèlement, le principe d 'égalité permettait au peuple d'accéder à des postes plus élevés dans l'administration et dans l'armée.

Déjà sous Louis XIV, Fabert, premier officier issu de la bourgeoisie, fils d'un imprimeur de Metz, put accéder à la dignité de maréchal. Mais cela restait une exception. La Révolution permit à de nombreux alsaciens et lorrains d'atteindre les plus hautes fonctions. Les généraux Richepanse et Lasalle étaient originaires de Metz et venant de Strasbourg nous trouvons ; Kellermann qui de sous-officier devint marécahl et duc de Valmy ; son fils, originaire de Metz devint général. Kléber, fils de maçon, un des plus grands généraux de France, à qui Bonaparte confia le commandement de l'armée d'Egypte. Son avenir paraissait brillant quand il fut assassiné par un musulman fanatique en 1800. Ney est né à Saarlouis, comme fils d'una artisan tonnelier.Ce « brave des braves » devint maréchal et duc d'Elchingen et Napoléon lui décerna plus tard le titre de prince de la Moscova. Lefebvre était originaire de Rouffach, il devint maréchal et duc de Dantzig et conserva, comme sa femme, sa langue maternelle populaire. Sa femme est l'héroïne de la célèbre commédie de Sardou : Madame Sans-Gêne. Parmi les alsaciens célèbres il faut encore citer le général Rapp de Colmar, défenseur de Dantzig en 1813 et le général Eblé, originaire de Saint-Jean-Rohrbach près de Sarguemines, le sauveur des restes de l'armée pendant la retraite de Russie. Les généraux alsaciens et lorrains représentent encore aujourd'hui une part importante des généraux français.

 

« Parmi les neufs généraux de brigade promus en 1913, 5 étaient nés en Alsace-Lorraine. Par l'avancement, le nombre d'alsaciens et lorrains dans l'état major passa à 170 : 20 généraux de division (parmi eux 11 membres du Haut-Commandement de l'armée), 49 généraux de brigade et enfin dans la réserve, 32 généraux de division et 69 généraux de brigade (A. Prignet l'Alsace-Lorraine 1916). Legrelle, dans son ouvrage déjà souvent cité, évoque aussi quelques amiraux.

 

Ce n'est pas que dans l'armée que la France permit à ses fils d'accéder aux plus hautes dignités. Les mêmes possibilités étaient données aux intellectuels. De nombreux auteurs et artistes alsaciens et lorrains purent accéder à la notoriété. Pour ne citer que quelques uns : Erckmann et Chatrian de Phalsbourg, le peintre et illustrateur strasbourgeois Gustave Doré ou le sculpteur colmarien Bartholdi qui réalisa la gigantesque statue de la Liberté à l'entrée du port de New-York.

 

« sous le régime français, le nombre des artistes alasaciens et lorrains était très important, principalement dans les années qui précédèrent la guerre franco-prussienne : on compte 8 exposants à Paris en 1853, 20 en 1857, 45 en 1865 et par la suite, une moyenne de 30 à 40. C'était essentiellement des peintres, les sculpteurs ne représentaient qu'environ 10% de cet effectif... Les peintres alsaciens ne trouvèrent pas assez de clients sur place et montèrent donc à Paris. » (Lorenz et Scherer)

 

On néglige souvent l'importance qu'a pu jouer Paris dans le processus d'assimilation des alsaciens à la France. Cette mégalopole, dans un pays qui ne comptait que des villes moyennes, bénéficiait d'un grand pouvoir d'attraction sur l'intelligentsia qui se rendait compte qu'elle offrait des possibilités infinies par rapport à leur étroite province. C'est là-bas que se rencontraient les artistes des différentes provinces, que se forgeait, un sentiment d'unité.

 

Ceci est particulièrement sensible à Paris, plus qu'à Londres, à cause d'une part de la centralisation administrative que Napoléon a poussée à l'extrême et d'autre part parce que la France n'a pas connu, comme l'Angleterre et l'Allemagne, de mouvement intense d'émigration.

Au 18ème siècle et au début du 19ème siècle la France excerçait sur l'Europe une influence prépondérante dans le domaine de la pensée et dans le domaine politique. Cette influence était visible dans tout ce qui commande le mode de vie des classes dirigeantes ; pas la science mais les beaux-arts, la littérature, la philosopie et la mode. L'influence de Paris était déterminante aussi dans les différentes branches de l'industrie. Un indsutriel allemand écrit en 1870 :

 

« Liée depuis presque 200 ans à la France, l'industrie alsacienne s'est adaptée à l'esprit et à la mode françaises, tant et si bien que l'essentiel de sa production est destinée à la France. Mulhouse devient le centre de fabrication et Paris le centre de décision. C'est à Paris, où la plupart des établissements alsaciens ont une succursale, que se déroulent les principales transactions et c'est de Paris que partent les incitations pour le renouvellement de la production. » (Gustave Meyer membre de la Chambre de Commerce de Bielefeld : Elsass und Lothringen 1870)...

 

Les provinces françaises considéraient Paris non seulement comme métropole de la France mais du monde entier. C'est ainsi que la Babel de la Seine devint la ville la plus atttractive d'Europe, pas seulement le Paris du plaisir mais aussi le Paris du travail. Bismarck a exprimé à sa manière ceci dans son discours au Reichstag du 2 mai 1871 à l'occasion du projet de constitution relatif à l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.

« Il ne m'appartient pas d'examiner les raisons qui ont conduit un ancien peuple allemand à faire partie d'une nation qui ne parlait pas la même langue, nation qui n'était pas toujours ni bienveillante ni tolérante. Une des raisons était sans doute que les qualités qui distinguent les allemands des français se retrouvent justement dans le peuple alsacien et lorrain. Si bien qu'ils formèrent dans ce pays, par leur compétence et leur amour de l'ordre, ce que l'on pourrait appeler sans exagération une sorte d'aristocratie. Ils étaient plus capables et plus fiables pour occuper des postes dans dans la fonction publique, dans l'armée et la gendarmerie. Ce million et demi d'allemands formait le contingent le plus élevé de la fonction publique... Derrière les alsaciens et lorrains, tant qu'ils appartenaient à la France, il y avait Paris avec son rayonnement et la France avec sa grandeur... »

 

Il n'est pas venu à l'idée de Bismarck qu'ils pouvaient avoir le sentiment d'être les héritiers de la Révolution. Que voyaient les alsaciens et les lorrains juqu'au 19ème siècle en face, le morcellement des état, le conflit intérieur entre prussiens et autrichiens et les jeux politiques. Treitschke exprime ceci avec force :

 

«Suivait alors le temps de la chasse aux sorcières, des émigrants allemands trouvèrent refuge et protection outre-Rhin, la presse de Strasbourg éditait ce que la censure allemande interdisait et l'alsacien observait avec mépris ce pays tombé dans l'impuissance et la servilité. Ces circonstances exceptionnelles ont transformé le pays allemand en un troupeau où règnait le chauvinisme. Comment les alsaciens pouvaient-ils respecter l'entité allemande. Devant leur porte ils voyaient les conflits ridicules entre les petits états et le Casino de Baden où le confort allemand se prosternait devant l'indiscipline française. »

 

Treitschke reproche aux alsaciens d'avoir adopté un chauvinisme pro-français. Il est vrai que nulle part les armées alliées, qui pénétrèrent en France en 1814, n'ont rencontré une plus forte résistance qu'en Alsace. Les alsaciens menèrent une guerre de francs-tireurs comme jadis les espagnols, les tiroliens et les prussiens contre l'armée de l'usurpateur corse.

 

« Lorque l'Allemagne enfin s'est ressaissi, lorsque les alliés pénétrèrent en France, le peuple alsacien pensait que les bienfaits de la Révolution étaient menacés. Les places-fortes résistèrent, défendues courageusement par des citoyens et des soldats. Des bandes armées de paysans sillonèrent la campagne, crucifièrent des soldats allemands prisonniers et commirent les pires atrocités. »

 

Et lorsqu'en 1871 la majorité de l'Assemblée Nationale Française s'est prononcée, à contre-coeur, pour l'accord de paix et le rattachement de l'Alsace et de la Moselle à l'Allemagne, ce sont les représentants de l'Alsace qui protestèrent de manière unanime (16 février 1871).

  1. Les deux formes du mouvement national.

 

En France, le sentiment national était indisssociable de la Révolution et se trouva renforcé par les traditions révolutionnaires. En Allemagne il découlait de la confrontation avec la France et prit deux voies différentes.

 

D'un côté, l'exemple français incitait à l'imitation. On se mit à comparer la force et le rayonnement de la république unitaire avec la misère du morcellement en principautés allemandes de toutes sortes. Malgré la guerre, la démocratie française apparaissait comme une force irrésistible. Beaucoup de démocrates allemands souhaitaient que leur pays accède à la liberté et à l'unité. C'était le programme d'auteurs comme Börne, Heine ou Lassalle.

 

Ce lien entre la démocratie française et allemande se révéla déjà à la fête de Hambach (1832), première démonstration nationale et démocratique sur le sol allemand. Le démocrate et pacifiste Franz Wirth l'évoque ainsi dans son étude parue en langue française en 1895 ( L'Alsace et la France).

 

« Je me souviens très bien de notre grande fête nationale de Hambach à laquelle assitaient même la garde nationale de de Metz, Strasbourg, Weissenbach et d'autres villes et où la population du palatinat jeta un œil émerveillé vers la France. »

 

Börne créa en 1836 à Paris un journal intulé « La Balance » dans le seul but de conduire la France et l'Allemagne vers la démocratie. Dans son article introductif il dit ceci :

 

« L'histoire de la France et de l'Allemagne, depuis des siècles, est celle d'un effort constant pour se rapprocher, se comprendre et s'unir. L'indifférence étant impossible, les deux peuples ne pouvaient que s'aimer ou se haïr, devenir frères ou se combattre. Leur destin était intimement lié.

 

Les adultes des deux pays devraient s'efforcer de relier la jeunesse des deux pays par un pacte d'amitié et de respect. Qu'il serait beau le jour où français et allemands, unis dans la prière, s'agenouilleraient sur les tombes, là où leurs ancêtres se sont étranglés . »(Börne Menzel der Franzosenfresser)

 

Dans son écrit sur la guerre d'Italie, Lassalle est dans le même état d'esprit.

 

« Les progrès de la liberté politique, de la civilisation en Europe, de la démocratie et de la culture dépend d'une bonne entente entre français et allemands. » (Lassalle : italienischen Krieg 1859)

 

Mais la Révolution n'avait pas seulement apporté la démocratie à la France mais aussi la guerre contre les monarchies européennes. Et si les français apparaissaient aux allemands, au début du mouvement, comme des libérateurs ils devinrent rapidement les conquérants, les oppresseurs voir auteurs des pillages.

 

L'essor du mouvement nationaliste allemand est issu du rejet de l'oppression française. Se sentir allemand était équivalent à haïr le peuple français. C'est en alliance avec les russes et les anglais que furent menées les guerres de libération. Ces deux pays apparaissaient comme des pays amis, seuls les français ne pouvaient pas supporter les allemands.

 

Dans un de ses poèmes Rückert réprimande une fille de franconie parce que les français lui plaisaient mieux que les cosaques.

Deux points de vue s'exprimaient donc dans le mouvement national allemand et la question de l'Alsace.

 

Les uns pensaient qu'il était tout à fait normal que l'Alsace restât française parce tel était le désir de sa population. La nation allemande ne devait englober que les peuples qui voulaient être allemands.

 

Dans un article écrit en français Börne ironise dans « Franzosenfresser Menzel » :

 

« Prenez les armes, vous les généreux défenseurs de la cause nationale, allez consquérir à nouveau l'Alsace, mais dépêchez-vous, la chose est urgente, les forteresses Spielberg, Spandau, Olmütz, Magdebourg, Ehrenbreitstein, Hohenasperg (ces célèbres prisons destinées aux prisonniers politiques) ne vont bientôt plus suffires à vos exigences patriotiques. Allez conquérir Strasbourg pour disposer d'une citadelle supplémentaire qui pourrait servir de prytanée à votre patriotisme. Mais avant de vous exposer aux dangers de la renommée demandez aux alsaciens s'ils sont unanimes à vouloir de nouveau être allemands, s'ils sont heureux de l'idée d'échanger leur roi contre un des princes fédéraux allemands, leur chambre des députés contre l'assemblée parlementaire de Francfort, la liberté de la presse contre la censure honteuse, la garde nationale contre la gendarmerie, la tranparence des débats juridiques contre les tribunaux secrets, les jurés contre des juges sous influence et l'égalité des chances contre l'arrogance scandaleuse de la noblesse et des satrapes. Demandez le leur et ils vont vous répondre qu'ils sont les plus fervents des patriotes français précisément par ce que nous sommes à la frontière de l'Allemagne. »

 

Dans son écrit « Italienischen Krieg » Lassalle ajoute, à propos de l'Alsace :

 

«Avec l'essor de la France et la stagnation de l'Allemagne, il devenait légitime que la France ait pû s'approprier les provinces d'Alsace et de Lorraine et procéder à leur assimilation  au siècle dernier, au temps de la Révolution, au point que ces territoires conquis ne demandent plus rien d'autre que de rester français. 

 

Heureusement, avec notre développement économique il devient maintenant impensable qu'un village allemand redevienne français, de même, ce serait un non sens historique et impossible de vouloir reconquérir des provinces française. »

 

Opposés à ces démocrates, nombreux étaient ceux qui pensaient que le sentiment patriotique se confondait avec la haine de la France et qu'il fallait amoindrir ce pays pour consolider la sécurité de l'Allemagne. Ils étaient outrés de voir que la paix de Paris de 1814 acccordait à la France les anciennes frontières de 1792. C'est ce qu'expriment Görres et Arndt comme en témoigne le pamphlet de ce dernier : Der Rhein Deutschlands Strom aber nicht Deutschlands Grenze (le Rhin fleuve allemand mais pas frontière allemande).

 

Après la bataille de Waterloo, les gourvernements allemands se plièrent à cette règle. Lors de la création de la confédération germanique qui a remplacé, à partir de 1815, l'empire allemand détruit par les campagnes de Napoléon en 1806, la question de l'Alsace aurait représenté une pomme de discorde et un embarras.

 

Le mouvement nationaliste qui recherchait une entente avec la démocaratie française était le plus important dans les régions limitrophes de la France. Ses partisans avaient même trouvé, dans les réformes introduites par Napoléon, l'occasion de se débarrasser des rigidités féodales. Il n'en était pas de même pour les habitants de la Prusse et des régions situées à l'Est de l'Elbe. L'invasion française n'avait apporté que défaites, oppression , humiliation et pillages. Les réformes n'ont pas été apportées par Napoléon mais introduites après son départ. Le sentiment national se confondait avec l'opposition à la France. Et plus l'influence des pays situés à l'Est de l'Elbe grandissait, plus cette forme de nationalisme pesait sur la démocratie. Dès le début, ce mouvement était favorable à une monarchie puissante et à la constitution d'une armée forte.

 

Les pays situés à l'Est de l'Elbe formaient la partie économiquement la moins développée et malgré cela ce sont eux qui vont conduire la lutte pour l'unité allemande.

  1. L'unité sous domination prussienne

 

 

Ce devait être la voie pour conduire à l'unité allemande. L'Allemagne était grande sous le règne des empereurs donc c'est un empereur qui doit mettre un terme au morcellement des états et restaurer la grandeur du pays.

 

Seulement, sur le plan historique, il faut revenir aux Hohenstaufen et à Frédéric Barberousse pour atteindre une période où l'empire était rayonnant. A l'époque, l'empire allemand s'appelait empire des romains et n'était pas un état national et surtout pas unifié. Toute sa vie, Barberousse devait lutter contre l'indiscipline et les outrages de ses grands seigneurs et de ses villes italiennes. Et les méthodes qui ont conduit au rayonnement de l'empire ont aussi conduit à sa perte. Mais même si l'image laissé par les Hohenstaufen avait été plus idyllique, que faut-il penser des croisades à l'époque de la Révolution ?

 

Déjà au traité de Westphalie les empereurs allemands ont reconnus qu'ils étaient incapables de transformer l'empire en un état unifié. Depuis, le pouvoir de l'empire n'a pas grandi mais s'est désagrégé avec l'arrivée de la Prusse qui depuis Frédéric II s'est révélé être une puissance militaire équivalente voire supérieure à celle de l'Autriche. Comment un empereur autrichien peut-il trouver les moyens de réaliser l'unité allemande. Les empereurs autrichiens n'y pensaient pas. Leur seul souci était d'aggrandir leur état multi-national, état dans lequel les allemands devenaient moins importants en nombre et en pouvoir. Ceux qui d'Autriche souhaitaient l'unité allemande étaient des rêveurs ou des politiciens qui pensent que la solution au problème devient plus facile à trouver si on le laisse traîner.

 

Heine se moque de cette représentation dans ses Wintermärchen (Conte d'hiver) où il relate sa rencontre avec Frédéric Barberousse sur le mont Kyffhäuser :

 

Der Rotbart erwiderte lächelnd : Es hat

Mit dem Schlagen gar keine Eile

Man baute nicht Rom an einem Tag

Gut Ding will haben Weile.

Wer heute nicht kommt, kommt morgen gewiss,

Nur lagsam wächst die Eiche

Und chi va piano, va sano, so heisst

Da Sprichwort im Römischen Reiche.

 

Heine réplique de manière effrontée :

 

Herr Rotbart – rief ich laut – du bist

Ein altes Fabelwesen,

Geh, leg dich schlafen, wir werden uns

Auch ohne dich erlösen.

Die Republikaner lachten uns aus,

Sähn sie an unserer Spitze

So ein Gespenst mit Zepter und Kron,

Sie rissen schlechte Witze

Das beste wäre, du bleibst zu Haus

Hier im alten Kyffhäuser

Bedenk ich die Sache ganz genau,

So brauchen wir gar keinen Kayser.

 

En souriant, Barberousse poursuivit

Pour se battre, pas de précipitation

Rome n'a pas été contruite en un jour

Les bonnes choses nécessitent de la parience

Celui qui ne vient pas aujourd'hui arrivera certainement demain

Le chêne pousse seulement lentement

Chi va piano va sano

Est l'adage de l'empire romain

 

Heine réplique de manière effrontée :

 

Monsieur Barberousse – appelai-je à haute voix

Tu es une vielle créature mythique

Vas te coucher nous nous passerons de toi pour nous libérer.

Les républicains nous riraient au nez

S'ils voyaient à notre tête

Un fantôme muni d'un sceptre et d'une couronne

Il vaudrait mieux que tu restes à la maison

Ici dans le vieux Kyffhäuser

Et après mure réflexion

Un empereur nous est d'aucune utilité.

 

Lassalle s'exprime de la même manière en disant qu'il est pour la grande Allemagne, mais sans ses dynastes. Ce n'est pas l'empereur, d'en haut, mais la révolution, d'en bas, qui doit conduire l'unité allemande en écartant les 34 maisons princières qui règnent sur le territoire.

 

Mais même certains démocrates allemands avaient peur d'une révolution. Cette idée ne gagna que l'aile gauche, les prolétaires et certaines couches de la petite bourgeoisie.

 

Depuis le Moyen-Âge la monarchie est si ancrée dans la vie en Europe et l'idée de démocratie si novatrice, que la tradition monarchique perdurait dans la partie non prolétaire de la population, chez les paysans, la petite bougeoisie, les capitalistes et bien sûr la noblesse. Ce n'est que dans certains cercles de pouvoirs, minoritaires, que l'idée de démocratie fit des progrès et encore sans menacer l'existence de la monarchie. Là où la monarchie a été supprimée ce n'est pas tant à cause des idées républicaines qu'à cause d'évènements extraordinaires qui divisèrent profondément le peuple et les dynasties règnantes. Les américains, quand ils commencèrent leur guerre de libération, n'étaient pas plus républicains que les anglais. Ils s'élevèrent contre le roi, non parce qu'il était roi, mais parce qu'il était roi d'Angleterre. Et leur guerre devint une guerre contre la monarchie.

 

En France, la révolution à ses débuts n'était pas dirigé contre la monarchie mais contre les privilèges de la noblesse et des instituions religieuses. Mais lorsque le roi s'allia aux ennemis du peuple, alors, le révolution devint une lutte contre la monarchie.

 

Et maintenant, c'est le rôle du tsarisme durant la guerre qui a popularisé l'idée républicaine auprès des paysans et des bourgeois au point qu'ils n'opposèrent aucune résistance au prolétariat républicain.

 

La croissance de la conscience démocratique et de ses représentants énergiques, le prolétariat, a pour conséquence que là où les évènements conduisent à la chute de la monarchie celle-ci est remplacée par une république, et non par un autre monarque. Ce régime se maintient alors durablement ou laisse la place de temps en temps à une autre à période de restauration.

Les circonstances en Allemagne, pendant la période de réunification, n'étaient pas réunies pour faire accepter à la majorité du peuple, en temps de paix, une révolution républicaine. La majorité des républicains allemands pensaient que cette révolution ne pouvait découler que d'une guerre contre le tsar.

 

Engels écrit en 1859 à Lassalle :

 

« Vive la guerre (es lebe der Krieg), lorsque les russes et les français nous attaquent, lorsque nous sommes sur le point de nous noyer, c'est dans cette situation sans espoir que tous les partis au pouvoir jusqu'à Zitz et Blum ; doivent profiter de la situation et se tourner enfin vers le parti le plus énergique pour sauver la nation. »(Lettres à Lassalle et Marx Engels 1902)

 

Quel espoir restait-il à ceux qui doutaient de l'empereur de la maison d'Autriche et qui ne croyaient pas en la République, voire la craignaient. Ils tournèrent leur regard nostalgique vers la monarchie prussienne qui s'est développée en opposition aux empereurs de la maison de Habsbourg.

 

Après le troisième partage de la Pologne en 1795 la Prusse avait une superficie de 5600 milles2 environ. Seulement un dizième se trouvait à l'Ouest de l'Elbe. L'importance de la partie orientale a été diminuée un peu au cours du partage de 1815. A cette époque la superficie du pays atteignait environ 5000 milles2 dont 1200 se situaient à l'ouest de l'Elbe. Ce n'est que par les conquêtes de 1866 qui se trouvaient à l'ouest que la partie orientale a vu son importance sensiblement diminuer.

 

Déjà du temps des traités de Westphalie, les Hohenzollern qui étaient alors électeurs du Brandebourg, formaient la plus importante dynastie d'Allemagne après la maison des Habsbourg.

Ce sont les premiers princes d'Allemagne qui vont ressentir le besoin de mener une politique pour s'affranchir de l'empereur, et dans certaines circonstances s'y opposer. Mais leur territoire était trop petit. Ce n'est qu'en constituant une armée par le recours à des mesures draconiennes d'économie qu'il purent poursuivrent cette politique d'indépendance. L'importance donnée à l'armée est devenu l'axe essentiel de la politique traditionnelle prussienne. Personne ne soignait son armée autant que le roi de Prusse. A partir du 17ème siècle la Prusse va entreprendre une politique de conquêtes. L'état qui comptait environ 100000 km2 au traité de Westphalie a été aggrandi de 80000 km2 par Frédéric II. Le Congrès de Vienne (1814) estime sa superficie à 280000 km2. La guerre de 1866 va permettre d'ajouter 70000 km2. Après le royaume de Sardaigne qui va donner naissance à l'Italie, la Prusse était le seul état à avoir autant aggrandi son territoire en Europe depuis 1815. L'essentiel du territoire italien n'a pas été conquis par les guerres mais par les révolutions.

 

Déjà avant 1866 la Prusse est devenue la plus importante puissance d'Allemagne. Il est vrai que l'Autriche comptait aux alentour de 1860 35 millions d'habitants et la Prusse 19 millions mais la Prusse comptait 16 millions d'allemands et l'Autriche 9 millions. La Prusse a connu un essor économique considérable au 19ème siècle jusqu'à devenir l'état économiquement le plus développé d'Allemagne.

 

Après la guerre de Trente Ans, son redressement a été entravé par des guerres jusqu'en 1815. Certaines étaient le fait de conflits internes entre princes allemands et d'autres étaient internationales et se déroulaient par prédilection sur le territoire allemand. De 1815 à 1866 l'Allemagne ne connut pas de guerre et la paix profitait au développement économique.

 

A cela il faut ajouter les bouleversements du trafic maritime. Pendant les guerres napoléoniennes, l'Angleterre avait acquis la maîtrise des mers qui n'a pas été contestée par les différentes puissances jusqu'à nos jours. Les batailles navales qui étaient en réalité des actes de piraterie prirent fin. La liberté des mers devint réalité et le commerce maritime devint indépendant des puissances qui assuraient la maîtrise des mers. Le commerce maritime allemand se développa. Après les guerres napoléoniennes le chemin de fer prit aussi son essor et la route maritime n'était donc plus la seule voie pour le transport de masse. La localisation de la production industrielle pouvait s'affranchir des installations maritimes côtières et du trafic fluvial et se localiser sur le continent. Cette évolution profita à l'Allemagne. Le déplacement des axes commerciaux qui jadis profitèrent à l'ouest au détriment du centre et de l'est fit sentir maintenant ses effets.

 

Le nouvel essor économique de l'Allemagne se déroulait surtout en Prusse qui était proche des ports allemands, dont la configuration géographique ne présentait pas de difficultés pour l'aménagement de lignes de chemin de fer et, ce qui était déterminant, dont le sous-sol était très riche en gisements de charbon et de minerai de fer. Dans la première année de parution du Bulletin annuel statistique de l'empire allemand (Statistischen Jahrbuch für das deutsche Reich 1880) nous trouvons la répartition de la production minière et métallurgique pour l'année 1878 :

 

Production Production

métallurgique de houille

en M de T en M de T

 

Ensemble du territoire de l'empire 1899 39590

Prusse actuelle 1568 35500

Prusse sans les territoires

annexés en 1866 1435 35078

 

Il en ressort que déjà avant 1866 la Prusse avait une suprématie énorme dans les productions de houille et de minerai de fer qui étaient cruciales pour le nouveau capitalisme du 19ème siècle.

Sur le plan militaire et pour l'agent des douanes la configuration territoriale découlant des accords de 1815 n'était pas propice à la mise en place d'une frontière douanière. Pour arriver à une union douanière satisfaisante il fallait englober les autres pays allemands. L'Autriche par contre avait hérité en 1815 d'une frontière qui lui permettait de s'isoler du reste de l'Allemagne et de créer sa propre zone de circulation des marchandises. Sur le plan de la politique commerciale l'Autriche était donc séparée de l'Allemagne bien avant 1866.

 

Il semblait donc naturel que l'union politique de l'Allemagne ne pouvait être que la conséquence d'une union économique réalisée sous l'égide de la plus grande puissance économique.

 

Sur la manière de réaliser cette union politique il y avait différentes opinions. Certains, animés par un optimisme confiant ou par la peur d'une catastrophe, pensèrent que cette union avec la Prusse pourrait se faire de manière pacifique et que l'Autriche pourrait renoncer à sa position prépondérante et se soumettre à la Prusse. D'autres au contraire pensèrent que la dynastie des Habsbourg ne se soumettrait jamais à un empereur issu d'une autre maison et que l'union avec la Prusse ne pouvait passer que par une guerre avec l'Autriche. Cette dernière opinion pouvait prendre deux formes. Les uns pensaient que la Prusse victorieuse devait annexer tous les états avant de se dissoudre dans l'Union allemande.

 

La grande majorité des partisans de la domination prussienne ne voulaient pas aller aussi si loin. Ils souhaitaient limiter les bouleversements qui auraient pu avoir des conséquences imprévisibles. La maison de Habsbourg ne devait pas être menacée dans ses possessions mais seulement poussée vers la sortie ce qui signifierait une réduction de la taille de l'Allemagne des possessions autrichiennes. Ils acceptaient ce fait si on pouvait faire l'économie d'une révolution.

Il semblait que c'est probablement par cette voie qu'on pourrait atteindre l'unité allemande. Le nombre d'adeptes de cette façon d'atteindre l'unité politique allemande ne cessa de croître d'abord dans le Nord puis en Allemagne du Sud, dans les milieux intellectuels et chez les capitalistes.

 

Mais il a fallu attendre pourque cette voie l'emporte. Elle était impossible tant que la volonté énergique du roi de Prusse de se mettre à la tête du mouvement manquait. L'assemblée générale allemande du 27 mars 1849 se prononça pour un empire héréditaire (267 voix pour et 263 contre) et choisit Frédéric Guillaume IV de Prusse comme empereur (290 voix pour et 248 abstentions).

 

Mais Frédéric Guillaume renonça car selon ses termes, il haïssait l'odeur fétide de la révolution (Ludergeruch der Revolution). Il apparaissait donc que seule une démocratie prussienne pouvait réaliser l'unité allemande.

 

Lorsqu'au début des années soixante le mouvement démocratique et national, qui avait été muselé en 1849 , s'est ressaisi, Guillaume, le successeur de Frédéric Guillaume entra en conflit avec le parlement prussien (Landtag) qui semblait rechercher l'établissement d'un régime parlementaire.

 

La perspective d'une unité allemande conduite par la Prusse paraissait plus confuse que jamais. C'est là que Bismarck, noble propriétaire terrien borné (junker) mais qui a fait son apprentissage à l'étranger, prit les rênes du pouvoir en 1848. Il a vu notamment Napoléon III à l'oeuvre qui savait utiliser pour son régime certaines exigences, extraites de l'ensemble des revendications démocratiques, comme le droit de vote ou le droit des nationalités. Il avait aussi acquis de l'étranger assez de conscience moderne pour comprendre que si la monarchie ne s'emparaît pas du problème de l'unité allemande, celle-ci se ferait de toute façon sans elle. Ses traditions prussiennes lui dictaient que c'est sur le champ de bataille qu'allait se gagner l'unité allemande et que c'était le meilleur moyen de retirer l'épine démocratique du mouvement politique.

 

C'est par un mélange magistral de méthodes modernes de gouvernement et de slogans assénés sans pitié qu'il va conduire avec détermination la guerre contre le parlement et préparer la guerre contre l'Autriche qui va éclater en 1866. Cette guerre était un risque qui pouvait conduire la monarchie à la catastrophe si l'armée prussienne était vaincue.

 

Le régime antiparlementaire de Bismarck était détesté à outrance par les démocrates. Le roi Guillaume lui-même craignait que cette lutte contre le parlement n'amène des conséquences dommageables. Dans ses souvenirs (Erinnerungen) Bismarck raconte que le roi lui aurait dit en octobre 1862 :

 

«Je vois très bien où cela va nous mener. Là, devant la place de l'Opéra et devant mes fenêtres, on va vous décapiter avant de me réserver le même sort. » 

 

Bismarck reconnaît que cette peur n'était pas sans fondement mais que c'était le devoir d'un officier prussien de se sacrifier pour son roi et son pays.

 

En évoquant cette guerre qui a débuté par une période de crises et de banqueroutes, Engels écrit à Marx le 11 juin 1866 :

 

« La situation en Allemagne est de plus en plus révolutionnaire. A Berlin et à Barmen (Wuppertal) une foule d'ouvriers désoeuvrés déambulent menaçants dans les rues. G. Ermen, qui est venu Vendredi, me raconta qu'il a rencontré, sur le pont du Rhin à Coblence, un lieutenant prussien et qu'il a entamé avec lui une conversation sur la guerre. Il était très dubitatif sur l'issue du conflit et estimait que les hommes de troupe et les chefs autrichiens étaient meilleurs que les prussiens. Comme Ermen lui a posé la question sur ce qui allait arriver si la Prusse était battue, il a répondu - alors c'est la révolution. …L'armée de conscrits (Landwehr) va être aussi dangereuse pour la Prusse qu'en 1806 en Pologne où elle représentait aussi plus d'un tiers de l'armée et où elle a désorganisé toute la situation. Elle va sans doute se rebeller après la défaite … Je crois que dans 15 jours cela va démarrer en Prusse. Si nous laissons passer cette opportunité et si le peuple se résigne alors nous pouvons remballer la révolution et retourner à la théorie. (Stuttgart 1913) »

 

Voilà quelles étaient les fantaisies d'un cerveau d'émigrant surexcité...

 

Si une révolution éclatait en Allemagne, celle-ci gagnerait la France où, comme nous le verrons, le trône de Napoléon vacillait. Il est vraisemblable que la révolution allemande allait allumer la révolution en France et sceller ainsi l'entente entre les deux démocraties...

 

Marx et Engels ainsi que plus tard Liebknecht reconnaissaient que la lutte des classes devait être conduite sur ces bases. Il ne vint pas à l'idée d'Engels de retourner à ses études théoriques.

7. La guerre franco-allemande

 

Le mouvement révolutionnaire démocratique n'était pas le seul à être surpris et affaibli par les victoires rapides des Prussiens. Louis Napoléon était à la mêm enseigne et dû revoir ses plans. Il penssait et espérait que la guerre allait durer plus longtemps et pouvoir en profiter. Il n'avait pas pris en compte l'effet de la guerre sur les masses populaires. Il ne voyait que l'affaiblissement des gourvernements allemands et pas le renforcement du mouvement révolutionnaire allemand. Après le conflit il pensait pouvoir intervenir en tant qu'arbitre, gagner en prestige voire accroître les possessions territoriales et renforcer son pouvoir en France.

 

Les soutiens sur lesquels il avait construit son ascension l'abandonnèrent au fil des ans. Il avait réussi à tirer partie de l'héritage de la révolution de février 1848 puis de mâter et décourager les révolutionnaires de juin 1848. Depuis, un nouveau mouvement révolutionnaire s'était constitué et menaçait l'empire.

 

D'un autre côté, les effets des combats de juin 1848 furent oubliés. La petite bougeoisie radicale recherchait la protection d'un pouvoir fort. Mais de nouveaux éléments, plus confiants en eux, firent leur apparition. Ils pensaient que leurs intérêts n'étaient plus défendus par le pouvoir impérial et s'affirmaient su le plan politique, réclamaient moins d'imposition et une réduction du pouvoir militaire et religieux.

 

Le pouvoir de Napoléon a été favorisé au début par la prospérité économique stimulée par la découverte des mines d'or en Californie (1848) et en Australie (1851). L'effet de cette richesse en or se fit sentir après 1853 non seulement sur le développement de l'industrie mais alimentait aussi la fraude et la fièvre de la spéculation et conduisit à de nombreuses banqueroutes. Cette situation touchait en particulier la petite bougeoisie et le prolétariat.

 

A cela il faut ajouter la mauvaise gestion des finances publiques. Napoléon pouvait de moins en moins compter sur des partisans convaincus et fit appel de plus en plus à une armée de gens achetés pour occuper des postes dans la fonction publique, la police, le journalisme et l'armée ce qui grevait le budget. Napoléon 1er déjà devait acheter ses fidèles notamment dans l'armée mais il mit à contribution l'étranger. Son neveu ne pouvait pas utiliser ce moyen, sauf pendant la guerre contre la Chine (1860) où les palais furent pillés par l'armée française au profit en particulier des officiers. Un traité de paix avec ces chinois barbares prévoyait d'ailleurs une contribution de guerre. Ce n'était pas la dernière fois où la culture européenne montrait sa suprématie de cette manière.

 

Mais en règle générale, les bonapartistes pillèrent l'état et entraînèrent une hausse des impôts et de la dette publique. Cette économie de pillage, associée à la spéculation bousière effrénée, eut des conséquences économiques mais aussi morales, ce qui est plus grave. Cette corruption gangrenait l'état et tranformait les honnêtes gens en ennemis du régime.

 

L'opposition au régime bonapartiste se développa donc au début des années 60. Napoléon III devait de en plus s'appuyer sur son armée et le prestige hérité de son oncle ; les deux étant d'ailleurs intimement liés.

 

Au début il réussit à accroître son prestige militaire et, par ce moyen, porter son pays à la pointe des nations européennes. La guerre de Crimée et la guerre avec l'Autriche étaient certes des faits d'armes limités mais étaient des victoires, les premières après les défaites de 1812 à 1815 de Moscou, Leipzig et Waterloo.

 

Mais sur ce terrain aussi les années 60 allaient réserver des revers. La politique d'expansion outre-mer fut catastrophique pour Napoléon. De 1861 à 1865 la guerre civile faisait rage entre le Sud esclavagiste et le Nord. Napoléon mit cette guerre à profit pour s'emparer du Mexique (1862), une destination qui, par l'abondance des mines, semblait lucrative à ses compagnons d'arme, et y placer un vassal comme empereur. Mais les rebelles mexicains opposèrent une résistance inattendue et, à peine la guerre d'indépendance américaine terminée, il réclamèrent le départ de l'armée française pour laisser le pouvoir au peuple. Napoléon n'était pas en mesure de livrer une guerre contre l'Amérique et commença le retrait des troupes en 1866.

 

Au même moment il subit un autre revers avec l'unification allemande.

 

Nous avons déjà fait remarquer que la position dominante de la France en Europe était favorisée surtout par le morcellement des territoires allemands. Cette situation allait se terminer avec la création de la confédération de l'Allemagne du Nord sous l'égide de la Prusse.

 

Aus alentours de 1866, la France comptait 38 millions d'habitants et la Prusse, 19 millions et demi avant les annexions de cette année. Cette dernière population allait grandir avec les annexions prussiennes à 24 millions. De ce fait, la confédération allait atteindre 30 millions et l'Allemagne du Sud 8 millions soit une population à peu près équivalente à celle de la France. L'armée était placée sous commandement prussien qui avait montré si brillament sa supériorité.

 

L'année 1866 consacra la puissance de la monarchie prussienne au détriment de la France. La politique d'intrigue de Napoléon qui recherchait une compensation fut mise en échec par l'habileté de Bismarck qui au début semblait accomodant jusqu'à ce que la victoire fut assurée.

 

Une France démocratique aurait laissé se constituer une Allemagne démocratique à ses frontières. Il n'y avait pas de conflit d'intérêt entre les deux. Un empire qui reposait sur le prestige de l'armée se sentait menacé par l'expansion allemande. La classe politique française exprimait sa haine de Sadowa et Napoléon cherchait l'occasion pour redorer son prestige et consolider son trône chancelant.

 

Il ne pensait pas trop à la guerre mais à rechercher le prestige de manière pacifique. Mais cette politique est tout aussi dangereuse qu'une politique militaire. Elle conduit facilement à des situations où il faut choisir entre une perte de prestige ou la guerre dans laquelle on est entraîné dans des conditions que l'on n'a pas choisies.

 

Napoléon avait tout intérêt à éviter la guerre, son armée était minée par la corruption et les difficultés financières et n'est pas sortie grandie de l'aventure mexicaine. Sa peur de la guerre se ressent dans l'affaire luxembourgeoise. Luxembourg faisait partie du royaume des Pays-Bas et en même temps de la Confédération allemande. Cette situation cessa en 1866 avec la suppression de la Confédération. Napoléon voulut racheter l'archiduché au roi des Pays-Bas sous réserve de l'accord des luxembourgeois pour en quelque sorte obtenir une compensation à l'accroissement territorial de la Prusse. Bismarck opposa son véto et Napoléon fit marche arrière et renonça.

 

L'affaire du Luxembourg fut un nouveau clou pour fermer le cercueil du bonapartisme. De plus en plus, Napoléon voyait en Bismarck un ennemi dangereux pour sa dynastie et rechercha des alliances avec l'Autriche et l'Italie. Il conduisait ses tractations pacifiquement pour arriver au succès mais s'efforçait parallèlement de réformer et de renforcer son armée. Il engagea une course avec l'Allemagne mais compte tenu de la corruption et de la misère financière il n'avait aucune chance de l'emporter.

 

Les préparatifs de part et d'autre augmentèrent les menaces et les dangers de la guerre. En Allemagne comme en France socialistes et radicaux redoutaient cette évolution.

« Quinet s'efforçait, après Sadowa, d'épurer le patriotisme français et le patriotisme allemand de toute violence, de toute haine ; et c'est en proposant à la France et à l'Allemagne un but commun et sublime : la conquête de la liberté, qu'il espérait les détourner des belliqueuses décisions et les réconcilier à jamais. Lui-même donnait le bon exemple en abandonnant décidément toutes les revendications territoriales où un moment, en 1840, il s'était complu, et en reconnaissant la nécessité profonde de l'unité allemande. Les plus illustres des républicains démocrates français firent sur eux-mêmes un effort analogue, et à mesure que les évènements se développaient ils s'élèvaient à des vues plus sereines et plus larges. Malgré sa sévérité pour l'oeuvre de Bismarck, Garnier-Pagès se résolut à une politique de paix. Il déclara que si la France n'inquiète pas l'Allemagne, l'oeuvre de M. Bismarck se brisera, c'est-àdire que l'Allemagne cherchera à réaliser son unité, non par la force prussienne mais par la liberté allemande » (Jean Jaurès la guerre franco-allemande)

 

Jules Favre, un des élus républicains de la chambre des députés française, préconisait, dans son discours du 8 juillet 1868, le désarmement pour soulager et apaiser l'Europe et écarter le danger de guerre. Si la France ne veut pas diriger les autres puissances elle doit désarmer et leur demander de faire de même. C'était l'opinion du radicalisme français.

 

Un an plus tard, en octobre 1869, la réponse vient d'Allemagne. Le progressiste Virchow et 42 députés du Landtag présentaient une requête au gouvernement pourqu'il entame des discussions diplomatiques en vue d'un désarmement.

 

Peu après le gouvernement français fit un pas dans la même direction en demandant à Lord Clarendon d'interroger Bismarck pour savoir s'il était prêt à une réduction des armées. Bismarck déclina cette éventualité.

 

La confrontation avec Napoléon s'était déjàt envenimée avant. En septembre 1868, la reine Isabelle d'Espagne a été chassée du trône par ses sujets – encore un échec et une humiliation pour Napoléon qui était son protecteur. Le Cortès élu en 1869 écarta l'idée de république et proposa que le gouvernement provisoire se mette à la recherche d'un roi. Ils choisirent Leopold de Hohenzollern qui accepta la couronne après beaucoup d'hésitation et sous la pression de Bismarck (20 juin 1870).

 

Napoléon se trouva de ce fait dans une position délicate. Du côté français on estimait que c'était une marque de l'expansionisme prussien et de la volonté de prendre la France en tenaille. Si Napoléon ne réagissait pas ce serait un signe insupportable du déclin de son prestige. Le parti des militaires poussait à la guerre mais encore une fois l'espoir de paix renaissait quand le prince Leopold renonça à la couronne d'Espagne qui dès le début ne l'attirait pas (12 juillet). Cette opération était d'ailleurs mal vue par la plupart des puissances étrangères qui aspiraient à la paix.

C'est alors que Napoléon fit une grave erreur. Les partis favorables à la guerre le poussèrent à demander au roi de Prusse de donner sa garantie de s'associer à la renonciation du prince Leopold. Le roi Guillaume s'opposa à cette requête et Bismarck, dans la fameuse dépêche d'Ems du 13 juillet, relata l'évènement de manière abrupte ce qui fut ressenti comme une profonde vexation du côté français. Une phrase parvenue à la connaissance le jour suivant aurait renforcé ce caractère vexatoire. La seule issue pour le régime affaibli de Napoléon s'il ne voulait pas perdre le prestige qui lui restait c'était la déclaration de la guerre (19 juillet).

 

Du côté allemand on percevait cette déclaration comme la volonté de détruire l'unité allemande et désagréger l'alliance des peuples allemands. Elle déclencha un flot d'enthousiasme qui allait emporter le régime de Napoléon d'autant plus facilement que l'armée française était très inférieure. en nombre et souffrait de désorganisation et de carences dans le commandement.

  1. La demande d'annexion

 

Comme en 1813 la Prusse se trouvait à nouveau en première ligne face à la France et assumait la direction militaire et spirituelle du peuple allemand. La guerre de 1870 pris a nouveau le caractère d'une guerre de libération avec en plus une ferveur nouvelle pour la monarchie. La monarchie prussienne qui en 1848 et 1849 était impopulaire fut admirée pour son rayonnement. Le discours du recteur de l'université de Berlin du 3 août 1870, le célèbre physiologiste E. du Bois-Reymond, en apporte la preuve.

 

« Devons nous, Université de Berlin, proclamer l'assurance de nos convictions ?

Nous qui consacrons notre vie à la vérité, à la liberté et au mouvement devons nous affirmer que nous haïssons le mensonge, la tyrannie toutes les jongleries avec les grands, les nobles et les saints.. ?

Demande-t-on à un régiment de la garde d'affirmer son dévouement ?

Maintenant, l'université de Berlin qui fait face au palais de l'empereur est par votre acte de fondation la garde personnelle de la maison de Hohenzollern . »

 

On ne pourrait pas exprimer avec plus de véhémence l'attachement à la monarchie. Une autre particularité de cette atmosphère de guerre de libération est que la haine ne s'exprimait pas seulement à l'encontre du corse mais aussi contre l'ensemble du peuple français.

 

Dans son discours du trône, qui marquait l'ouverture des débats au Reichstag, réuni en session extraordinaire le 19 juillet, le roi Guillaume fait encore la distinction entre Napoléon et le peuple français.

« C'est avec discernement que nous avons mesuré la responsabilité devant Dieu et les hommes que prend celui qui entraîne deux pays du cœur de l'Europe, amoureux de la paix, dans une guerre dévastatrice.

Le peuple allemand et le peuple français ont la même culture chrétienne et connaissent le même développement économique, ils sont appelés à une compétition salutaire plutôt qu'à une guerre sanglante.

Mais les détenteurs du pouvoir en France ont pillé ce pays pour servir leurs intérêts et leurs passions. »

 

Mais bientôt des voix s'élevèrent pour accuser non seulement Napoléon mais l'ensemble du peuple français. Déjà dans son discours de recteur du Bois-Reymond déclare /

 

« Depuis le jour de la décision nous n'avons plus qu'une seule pensée : guerre, guerre, guerre ; guerre au couteau, guerre jusqu'à la dernière goutte de sang, jusqu'au dernier thaler contre le mensonge perpétuel, le second empire allemand contre ce peuple français, amoral et guerrier. »

 

A un autre endroit de son dsicours il ajoute :

 

« Louis Napoléon a un complice, que j'estime plus dangereux que lui, car inamovible et éternel, le peuple français dans son ensemble. »

 

Tel est le constat que dresse la corporation de ceux qui font partie des hommes les plus sérieux, les plus instruits, les plus honorables et les plus apolitiques du pays, celle des professeurs et des chercheurs.

 

Ecoutons encore un autre professeur prussien : Adolf Wagner dans son écrit Alsace et Lorraine (Elsass und Lothringen) :

« La politique de tous les gouvernements français était guidée par la volonté d'affaiblir l'Allemagne et de la piller en usant du mensonge, de la délation, de la corruption et de la flagornerie et ce au nom du peuple français... Et malgré cela on voudrait que l'on dirige notre ressentiment uniquement contre celui qui a brisé la paix et pas contre ce peuple français orgueilleux jusqu'à devenir idiot, ce peuple vaniteux, ignorant et qui s'est comporté de manière pathétique dans le bonheur comme dans le malheur. Nous n'allons pas nous laisser aveugler : notre ennemi c'est la France et le peuple français, pas Napoléon. »

 

Cette animosité envers la nation aura comme conséquence, comme dans toutes les guerres de libération, qu'il ne suffit pas de renverser l'empire, il faut aussi punir et affaiblir le peuple français pour avoir la paix en Europe.

 

Ce sentiment devint général après les premières grandes victoires. Treitschke dans son écrit que demandons-nous à la France (Was fordern wir von Frankreich) dit ceci :

 

« l'Allemagne est dans son droit quand elle demande un rétrécissement de la France...

 

La nation française est notre ennemi, pas ce Bonaparte qui n'est qu'un pantin... La défense de notre territoire réclame des frontières sûres. Le monde apeuré voit que cette guerre va entraîner d'autres formes de conflits. Nous devons être garants d'une paix durable et celle-ci ne peut être assurée que si nos canons, installés sur les cols vosgiens, sont orientés vers le pays welche et que si nos armées peuvent menacer la Champagne. Il faut arracher les dents du fauve pourqu'il n'ait plus l'audace de nous attaquer. »

 

C'est ainsi que l'on va justifier l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. Dans les milieux bourgeois d'Allemagne peu nombreux étaient ceux qui s'opposaient à ce point de vue en vertu du libre échange. Les partisans de la démocratie allemande ont opéré leur mutation entre 1866 et 1870. L'un d'entre eux, Gustav Meyer, membre de la Chambre de Commerce de Bielefeld, écrit dans un article « Alsace Lorraine » paru au début de la guerre, que le libre-échange avec la Russie et la France serait plus profitable à l'Allemagne que l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine.

 

L'idée de l'annexion fut combattue en règle générale seulement par un petit groupe de démocrates radicaux qui gravitait autour de Johann Jacoby et qui était proche de la social-démocratie. Le 14 septembre 1870, dans une réunion du parti du peuple (Volkspartei) à Königsberg, Jehann Jacoby protesta contre toute annexion violente de territoires français. Le 20 septembre il fut arrêté sur ordre du général Vogel von Falkenstein et déporté à Lötzen.

 

Le 16 octobre Guido Weiss publia la déclaration de Jacoby dans « Zukunft » à Berlin. Il a cherché à collecter des signatures mais n'en a rassemblé que 101 et parmi lesquelles, outre Guido Weiss lui-même, Robert Schweichel, Paul Singer, L. Cohn, Milke, H. Vogel et F. Wehrling, (W. Spindler, Allerlei Gereimtes und Ungereimtes 1873).

 

La social-démocratie s'est surtout déclarée contre les vélléités d'annexion quand, au début de la guerre, Bebel et Liebknecht n'ont pas voté les crédits demandés pour les raisons suivantes :

 

« Cette guerre est une guerre dynastique enclenchée par la dynastie des Bonaparte comme jadis la guerre de 1866 a été conduite dans l'intérêt des Hohenzollern.

Nous ne pouvons pas accorder les crédits demandés pour la conduite de cette guerre car ce serait un vote de confiance pour le gouvernement prussien qui est à l'origine de la guerre de 1866.

 

Nous ne pouvons pas non plus refuser ces crédits car ce serait une approbation de la politique scandaleuse et criminelle de Bonaparte. »

 

Cette position a été vivement condamnée par les milieux politiques qui pensaient qu'une victoire de Napoléon menacerait l'unité allemande et que sa chute serait bénéfique à l'unité allemande et à la démocratie en France.

 

Le parti social-démocrate prônait fermement une paix sans annexion après la chute du régime napoléonien et la déclaration de la République en France.

 

Le 5 septembre 1870 la direction du parti d'Eisenach publia un manifeste allant dans ce sens. Elle fut aussitôt inculpée par le même Falkenstein qui incrimina aussi Jacoby. Même Bismarck considérait ces inculpations, en particulier celle de Jacoby, comme une faute. Le 26 ocotbre, les sujets prussiens incarcérés à Lötz furent libérés.

 

Dans le manifeste d'Eisenach on trouve des extaits d'une lettre de Karl Marx au sujet de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine dans lesquels il précise que loin d'assurer la sécurité de l'Allemagne, ces annexions allaient faire de la guerre une institution européenne.

 

« De l'attitude des allemands victorieux va dépendre si cette guerre sera bénéfique ou dommageable.

S'ils s'emparent de l'Alsace et de la Lorraine alors la France alliée à la Russie va combattre l'Allemagne.

S'ils concluent un traité honorable avec la France alors l'Europe s'émancipera de la dictature de Moscou, la Prusse se fondera dans l'Allemagne et l'Europe occidentale sera promise à un développement pacifique. La révolution sociale, qui a besoin de l'aide de l'étranger, pourra triompher en Russie ce qui sera bénéfique aussi pour la population de Russie. »

 

Ces arguments ne trouvèrent alors aucun écho dans le prolétariat allemand. La voie du développement prônée par Marx avait déjà été barrée par les évènements de 1866. Le peuple allemand était placé sur des rails qui conduisaient inévitablement à la guerre contre la France, à l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine, à une fracture durable entre la France et l'Allemagne et au prolongement du régime des tsars et des dictaures en Europe.

 

  1. L'annexion

 

Le point de départ du mouvement favorable à l'annexion était la volonté de renforcer les positions militaires allemandes contre la France. Mais ce n'est pas la seule cause, d'autres considérations entrèrent en jeu. On réclamait l'annexion aussi pour des raisons historiques, le droit d'avoir des frontières naturelles et celui de nationalités. Les défenseurs de l'annexion mirent aussi avant ces arguments en pensant qu'ils renforceraient leur cause. Mais celui qui s'appuie sur un ensemble d'éléments ne prouve qu'une chose c'est que le résultat lui importe plus que l'analyse des fondements.

 

La réalisation de l'annexion va conduire à des divergences sur le périmètre des terres à annexer. Le fondement du droit historique apparaissait comme l'argument le plus vague. Ce point de vue conduit à considérer le nouvel empire allemand comme la continuité du Saint Empire Romain Germanique. Mais on n'assignait au nouvel empire l'obligation de reconstituer l'ancien. On ne réclamait pas les provinces de l'Est car l'Autriche était exclue de l'unité allemande, seule les provinces de l'Ouest étaient concernées.

 

Mais là aussi apparurent des difficultés. Le vieil empire allemand avait au fil des temps des frontières mouvantes. A quel époque faut-il se référer pour faire valoir ce droit historique ? L'héritier doit-il se contenter de l'héritage laissé par le défunt au moment de sa mort ? Lorsque le Saint Empire Romain Germanique fut dissout il y a belle lurette que l'Alsace et la Lorraine n'en faisaient plus partie.

 

Si on prend comme repère la période avant les traités de Westphalie alors on arrive à une situation où les Pays-Bas, la Suisse et le comté libre de Bourgogne faisaient partie de l'empire. Et si on veut renouveler l'empire de Barberouse on peu avoir des prétentions jusqu'en Italie.

 

La prise en compte des frontières naturelles était un concept un peu moins vague, c'est-à-dire une frontière qui constitue un obstacle aux échanges et à l'intérieur de laquelle les échanges peuvent se faire facilement sans barrières naturelles. De telles frontières peuvent exister mais devienent de plus en plus rares avec le progrès et le éveloppement des techniques. L'Allemagne de l'ouest ne dispose pas d'une telle frontière.

 

Les arguments avancés au sujet de l'Alsace étaient plutôt sans fondement :

  • la preuve que le Rhin ne constitue pas de frontière naturelle est qu'un fleuve facilite plutôt les échanges entre les peuples qu'il ne les sépare ; tout dépend de l'importance du fleuve et des moyens techniques qui facilitent les échanges ; il est vrai qu'au 19ème siècle un fleuve n'était pas pour l'Allemagne une barrière infranchissable,

  • il en va de même pour les montagnes qui ne sont plus des barrières infranchissables avec le développement des routes et des voies ferrées ; la montagne est peut-être une barrière pour le Sud de l'Alsace mais moins pour le Nord et pas du tout pour la Moselle.

 

Dans un écrit de 1870, paru dans les premiers mois de la guerre, le Dr. Gustave Lenz précise qu'un partage de la Lorraine était impossible. (Les anciens territoires d'empire d'Alsace et de la Lorraine leur situation dans le nouvel empire : Die alten Reichslande Elsass und Lothringen und ihre stellung zum neuen Reiche).

 

 

Le droit historique, les frontières naturelles et l'idée des nationalités alimentent le débat théorique mais ne jouent aucun rôle dans la prise de décision finale.

C'est le 2 mai 1871 que Bismarck présente au Reichstag son projet d'union de l'Alsace-Lorraine à l'empire allemand. Dans son discours il n'est pas question des arguments idéologiques ci-dessus il fait uniquement référence au point de vue militaire. La frontière actuelle est militairement défavorable à l'Allemagne. Stuttgart et Munich sont menacés par une invasion française. Il n'y a pas d'autre solution que d'annexer ces territoires et de les placer, avec leurs forteresses, dans le giron l'Allemagne pour ériger un glacis défensif contre la France.

 

Bismarck s'exprime selon la manière de penser de la vieille Prusse pendant les guerres de libération. Mais il devait aussi prendre en compte l'aspect politique du problème qui était contraire aux intérêts militaires et la définition des territoires à annexer se heurtait à des difficultés.

 

Le 29 janvier 1871, Busch qui travaillait sous les ordres de Bismarck, remarque dans son journal :

 

« J'ai lu une lettre très intéressante en provenance de Russie où l'on nous conseille de laisser Metz et la Lorraine allemande à la France et d'absorber le Lusembourg. On écrit de Saint-Petersbourg que Gortchakoff aurait demandé si l'Allemagne ne devait pas prendre le Lusembourg et laisser une partie conséquente de la Lorraine à la France »

 

Bismarck prit en considération le point de vue de la Russie. Au début de la guerre, la Russie a couvert les opérations de la Prusse ce qui eut pour conséquence que l'Autriche soit restée neutre. C'est peut-être à cause de la suggestion russe que Bismarck a considéré que la possession de Metz n'était pas indispensable, point de vue auquel a souscrit le prince Frédéric Guillaume, futur empereur.

 

On trouve aussi trace de ces évènements dans le journal personnel du prince :

 

« 21 février : Je pense qu'on peut sacrifier Metz. Bismarck est de mon avis mais est inquiet des demandes des militaires.

 

24 février : Des bruits contradictoires circulent sur les négociations. Idée : prendre Luxembourg à la place de Metz.

 

25 février : Venant pour la présentation habituelle, l'empereur me demanda ce que je pensais des conclusions incroyables de la réunion de hier qui a duré jusque tard dans la nuit. Lorque je l'ai regardé médusé, car comme d'habitude personne n'a jugé utile de me rendre compte, il ne voulait pas me croire. Thiers ne voulait pas accepter la demande de Bismarck de prendre possession du Luxembourg (qui appartenait aux Pays-Bas) . Restait l'alternative Metz ou Belfort alors Bismarck s'est déterminé pour Metz.

 

26 février : Lorsque je fis part à Bismarck de mon étonnement de ne pas avoir été informé, il s'en excusa prétextant l'heure tardive et l'épuisement de ses fonctionnaires. Il reconnut que c'est la perspective de justifier devant les militaires le renoncement à Metz qui l'a déterminé pour choisr cette place d'armes. »

 

 

  1. Le Reichsland

 

Au traité de Francfort du 10 mai 1871 l'Alsace-Lorraine fut rattachée à l'empire nouvellement créé.

Si l'empire avait été un état unitaire et moderne où toutes les provinces bénéficient des mêmes droits et devoirs le sort des nouvelles possessions aurait été réglé. Par l'entrée dans l'Etat, l'Alsace-Lorraine aurait eu les mêmes droits et devoirs que les autres provinces. Mais l'empire allemand n'est pas un état unitaire et moderne. Sa constitution est différente. C'est un état fédéral mais pas comme les Etats-Unis ou la Suisse, c'est une fédération de princes souverains.

 

La constitution de l'empire allemand débute par ces mots :

 

« Sa majesté le roi de Prusse au nom de la confédération de l'Allemagne du Nord, sa majesté le roi de Bavière, sa majesté le roi du Wurtemberg, son altesse royale l'archiduc de Bade, son altesse royale l'archiduc de Hesse, du Rhin et du Main concluent une alliance éternelle destinée à protéger les territoires de la confédération, à préserver les droits et assurer le bien-être de la population. Cette alliance prendra le nom d'Empire Allemand. »

 

Le caractère exceptionnel de l'Empire présenta dès le début des difficultés pour la question de l'Alsace et de la Lorraine. Bismarck attira l'attention sur elles dans son discours au Reichstag du 2 mai 1871 où il présenta son projet de loi.

 

« Dans les faits, les pays de l'alliance ont conquis ensemble ces provinces c'est donc ensemble qu'ils doivent en assurer la possession et le gouvernement ».

 

Adolf Wagner défendait l'idée d'incorporer ces provinces dans un des états de l'alliance.

« Le vœux du parti national est que les deux provinces soient rattachées à la Prusse. »

 

Le 28 août 1870 le professeur Maurenbrecher se prononça contre l'idée répandue de rattacher l'Alsace au Pays de Bade et la Lorraine à la Bavière.

« Il n'y a qu'une solution : l'Alsace doit devenir une province prussienne.»

 

Mais cette solution se heurta au désir de compensation des princes allemands qui ont participé à la victoire et à la conquête de ces provinces.

 

Que penser alors de la création d'un Etat dans l'Empire qui serait avec les autres sur un pied d'égalité. Cette solution se heurtait au fait que ces provinces se sentaient davantage françaises. Pouvons-nous leur donner l'indépendance d'un état fédéral ? On aurait pu penser à l'exemple de Louis XIV qui en préservant les particularités de l'Alsace a obtenu de bons résultats.

 

Et quelle doit être la forme de ce nouvel état , une monarchie ? Dans ce cas le monarque devra être issu d'une dynastie allemande mais cette perspective était de nature à créer de nouvelles tensions qu'on aurait pu éviter si on avait créé un République. La Constitution fédérale éluda cette question.

A vrai dire ce n'était pas seulement une confédération de princes mais aussi de Républiques si on tient compte des trois villes de la Hanse. Mais ce sont trois républiques particulières, des survivances du Moyen-Age et pas d'une révolution, elles présentent un caractère très conservateur de communes privilégiées et chacune d'entre-elles est située sur un espace ne dépassant pas 400 km2. Avec les nouvelles provinces on aurait à faire à une république moderne sur un espace de 14500 km2.

 

Alors on en vint à donner à ces provinces un statut à part dans l'Empire allemand, un statut exceptionnel de possession de l'Empire (Reichsland) non membre de la Confédération. Ce type de situation était unique dans le monde et ce statut ne va pas faciliter l'assimilation des populations.

  1. La revanche

 

Si l'on veut analyser le comportement des français après la guerre, il faut faire la distinction entre la classe ouvrière et les exploitants. J'ai évoqué ces différences dans mon article Politique intérieure et extérieure (Aussere und innere Politik Neue Zeit 34 Jahragang).

 

Pour les exploitants, l'état est non seulement un moyen pour préserver et faire prospérer leur exploitation mais est aussi pour eux un objet important d'exploitation. La recherche du renforcement de l'état et de l'expansion territoriale les concernent directement et il y a toujours parmi eux des gens qui font partie des cercles de pouvoir. Un rétrécissement territorial de l'Etat est donc perçu comme une blessure de leur intérêt vital.

 

La classe ouvrière par contre voit son intérêt dans la construction d'un état démocratique. Seule la démocratie leur permet d'accéder au pouvoir pour procéder aux transformations nécessaires et à de meilleures conditions de travail. Ils n'ont aucun intérêt à une politique de conquêtes qui porterait atteinte à la démocratie et la combattent dans tous les cas : que l'Etat soit agressé ou agresseur.

 

Entre ces deux populations il ya une grande masse d'individus qui sur le plan éconmique font partie de la classe ouvrière mais qui politiquement et sur le plan de la pensée partagent les préoccu-pations des exploitants dont ils sont par ailleurs dépendants. Cette population, très nombreuse, indécise et influençable rend la politique imprévisible dans des périodes aussi exceptionnelles. Ce n'est que si elle s'allie à la classe ouvrière que l'action peut conduire à une révolution. L'abstention de cette population ouvre la voie à la contre-révolution. Parmi la classe ouvrière il faut aussi compter les petits bourgeois et les petits paysans qui ne font pas appel à une main d'oeuvre extérieure. Le comportement de ces derniers est peu prévisible et ils sont attachés à la propriété privée et à leurs outils de production.

 

 

Alors qu'en Allemagne la question de l'Alsace et de la Lorraine divisait la population entre démocrate-sociaux et le reste de la population, en France elle forgeait l'unanimité.

 

« d'abord, au moment ou le fer nous coupa un morceau de nous-même ; puis d'éclatantes lamentations, mêlées à des clameurs de haine et à des serments de revanche ; enfin de longs et pénibles gémissements, dont le temps assourdit la plainte.

 

Ces cris, puis ces clameurs, puis ces plaintes sortaient de nos cœurs, de tous nos cœurs. Pas un Français, pas un seul, du royaliste au communard, du cagot à l'athée, qui au lendemain de la guerre ne les aît poussés de toute son âme. »

 

C'est ainsi que s'exprima Sembat dans son livre remarquable « Faites un roi, sinon faites la paix» (Paris 1913), livre dans lequel il ne réclame pas la revanche mais veut y mettre fin.

 

La classe sociale du milieu, irréfléchie et guidée par les traditions et les humeurs du moment, formaient les recrues des partisans de la revanche et des nationalistes. Mais elle n'était pas capable d'action politique et ira bientôt buter sur des résistances qui vont l'affaiblir.

 

Dans un premier temps toute la nation était préoccuppée par le renforcement de l'armée pour pouvoir résister. On se plaisait dans le souvenir de la période qui suivait la Guerre de Trente Ans jusqu'à la débâcle du second empire où la France était la Nation la plus puissante d'Europe. Les politiciens au pouvoir n'arrivaient pas à intégrer que cette période était pour toujours révolue. Selon eux, la défaite était la conséquence du pourissement, de la corruption et de la frivolité du second empire. Une France redressée était capable de retrouver son éclat en Europe et de reconquérir ses provinces perdues.

 

Mais pendant que la France se réarmait pour laver l'affront de la défaite, les évènements tournaient de plus en plus à son désavantage.

 

Au début de la guerre de 1870 les populations de la France et de l'Allemagne étaient à peu près équivalentes. Ce n'est que la mauvaise gestion et la politique irréaliste du second empire qui étaient défavorables à la France. Mais la population ne croissait presque plus alors que celle de l'Allemagne continuait à se développer. Alors que les deux pays comptaient une population de 38 millions d'habitants en 1870, l'accroissement depuis en Allemagne était de 30 millions alors qu'en France il n'était que de 1,5 millions. En plus l'industrie allemande était devenue la plus forte en Europe continentale et celle de la France se développait lentement. Dans les années 50 du siècle précédent la production de houille était presque équivalente, en 1860 l'Allemagne produisait 12 millions de tonnes et la France que 8, la différence allait s'accroître ensuite. En 1876 la production de l'Allemagne était le triple de celle de la France (52 millions de t. contre 17) et en 1911 l'Allemagne produisait 4 fois plus.

 

L'Industrie allemande réussit aussi à s'adapter au monde moderne et l'essor gigantesque de la science, de l'industrie et de la population était le résultat de l'esprit militaire prussien.

 

La France essaya de compenser cette différence croissante par une politique d'alliances. Mais il a fallu du temps pourqu'elle arrive à nouer une alliance avec la Russie qui ne pouvait concurrencer la triple alliance conclue entre l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. L'idée d'une guerre de reconquête de l'Alsace et de la Lorraine fit son chemin.

 

Les détenteurs du pouvoir en France étaient avides d'expansion territoriale. Si celle-ci ne pouvait pas être réalisée en Europe alors il fallait se tourner vers l'Afrique et l'Asie.

 

C'est le début de la nouvelle politique coloniale française qui entrainait le pays dans des conflits qui repoussaient les perspectives de revanche. Bismarck qui voyait dans cette politique un moyen d'affaiblissement plutôt que de renforcement apporta son soutien. Par l'occupation de Tunis, la France s'attira l'hostilité de l'Italie. Même l'Angleterre était incitée par Bismarck à s'enliser de la même manière dans une politique coloniale. ..

 

En Egypte, au Congo, au Maroc et au Soudan la poltique coloniale française allait entrer en opposition avec les intérêts anglais. L'occupation par les troupes françaises, en 1898, de Fachoda au Soudan aurait pu conduire à une guerre franco-anglaise.

 

Au même moment l'Angleterre entra en conflit avec la Russie, alliée de la France, à propos de sa politique d'expansion vers l'Est,

 

La France était bien trop préoccupée par d'autres conflits pour se lancer dans une aventure de revanche au sujet de l'Alsace et de la Lorraine malgré l'agitation de ceux la souhaitaient.

 

Cette situation va changer lorsque Bülow, ministre des affaires étrangères en 1897 puis chancelier en 1900, entre en scène. Le changement de politique n'était pas étonnant : la vague impérialiste a gagné l'Allemagne comme les autres pays à ceci près que l'Allemagne était bien plus forte. Les autres pays y voyaient l'Allemagne comme un obstacle, d'autant plus qu'elle se présentait comme protecttrice des mulsulmans.

Le 9 novembre 1898 l'empereur Guillaume prononce ces mots devant la tombe de Saladin à Damas :

 

« Que les 300 millions de musulmans soient assurés que de tout temps les allemands sont leurs amis »

 

Ces propos étaient ressentis comme une menace par toutes les puissances qui règnaient sur le monde musulman comme la France, l'Angleterre et la Russie ainsi que l'Italie qui l'envisageait. Dans la même année, l'Allemagne adopta son projet de politique maritime et entra en compétition avec les puissances navales. Jusque là, les puissances européennes s'étaient divisées et affaiblies dans cette course à la maîtrise des mers alors que la position de l'Allemagne qui ne participait pas à cet affrontement se trouvait renforcée. Le sentiment de l'opposition à l'Allemagne se mit à grandir.

 

La France bénéficia, contre l'Allemagne, d'une nouvelle protection et sa poltique étrangère devint de temps en temps plus audacieuse jusqu'à conduire au bord d'un conflit. Mais si les impérialistes français étaient si osés, ce n'est pas à cause de l'Alsace mais à cause du Maroc.

Pourtant, l'opposition grandissante entre la France et l'Allemagne faisait émerger la question de la reconquête de ces provinces par la guerre dans l'esprit des politiciens français.

L'évolution était comparable à celle de l'Italie ou le mouvement impérialiste de l'irrédentisme italien, après une certaine retenue qui a même conduit à une alliance avec l'Autriche, jusqu'à ce que impériaslisme et irrédentisme s'unirent dans une haine commune contre l'empire autrichien.

 

Mais en Italie comme en France ces mouvements se heurtaient à l'opposition du socialisme.

  1. L'idée de compréhension

 

Peu après la gurerre éclata la Commune dont la répression mis fin à tout mouvement socialiste pour une dizaine d'années. Lorsque celui-ci va renaitre, ce sera sous une forme différente dans un monde où la position de la France a évolué. Les socialistes n'étaient plus aussi imprègnés des souvenirs de 1793 et ne croyaient plus que la guerre pouvait sauver la République et que la volonté révolutionnaire était une force invincible à laquelle aucune monarchie ne pouvait résister.

Le marxisme incita les travailleurs français à regarder le monde avec un œil neuf et à oublier les souvenirs de la grande Révoltution pour mener une politique extérieure plus réaliste. Cette remise en cause leur montrait, ainsi qu'aux classes dirigeantes, la supériorité immense acquise par l'Allemagne depuis 1871. Toutefois, l'espoir des classes dirigeantes résidait toujours dans les alliances et notamment avec le tsar.

 

La classe ouvrière repoussa la guerre non seulement parce qu'elle la jugeait inopportune mais parce que par nature le prolétariat est attaché à la paix. La seule guerre qui retient leur intérêt est la guerre pour la défense de l'indépendance nationale et de la démocratie. La première internationale déjà a considéré qu'il était de son devoir de lutter contre la guerre et pour le maintien de la paix.

 

Les efforts déployés pour le réarmement et l'effectif des armées augmentèrent de façon considérable. Les souffrances de l'humanité des suites de la guerre allaient croître aussi. Et les circonstances démontrèrent qu'elle n'était pas conduite dans l'intérêt des prolétaires et de la démocratie. Le déroulement de la guerre de 1870 aboutissait à une situation claire : la classe ouvrière française savait pourquoi elle se battait, pour le maintien total de la république et de la démocratie.

 

Qui peut démontrer l'intérêt d'une nouvelle guerre ? Si elle se terminait par une défaite, la république serait encore plus diminuée, affaiblie et menacée. Si elle se terminait par une victoire française qui apportera la garantie que le peuple alsacien et lorrain disposera de la liberté de déterminer son destin ? Le développement des sentiments impérialistes montrait clairement les dangers qui guettaient la démocratie.

 

Ceci ne voulait pas dire que le socialisme français ne se souciait pas de l'Alsace et de la Lorraine. Il se préoccupait au contraire du destin de cette province mais entrevoyait un autre moyen qu'une guerre de revanche pour régler cette question, un moyen plus efficace et pacifique, la solidarité internationale du prolétariat. Il misait sur la croissance des masses populaires, le renforcement de l'esprit socialiste et le développement de la solidarité internationale. Il pariait sur la social- démocratie allemande, sur sa force et ses fondements internationaux. Dans un avenir proche elle allait accéder au pouvoir et cette perspective allait donner aux alsaciens le droit à l'autodétermination.

Le socialisme français ne voulait pas plus. La question de l'Alsace et de la Lorraine n'était pas une question de volonté de reconquête mais de démocratie. La question n'était pas de savoir si cette province devait devenir française ou allemande mais de savoir si elle avait le droit de déterminer elle-même de son destin ou si celui-ci dépendait d'une grande puissance.

 

Au lieu d'une d'aspirer à une guerre de revanche la social-démocratie française plaçait sa confiance dans la social-démocratie allemande, fidéle à ses principes.

Le discours de Jules Guesde du 20 février 1897 devant la chambre des députés est à ce sujet particulièrement éclairant (L'Alsace Lorraine devant la Chambre, Bibliothèque du parti ouvrier français).

 

Ce discours donna l'occasion aux socialistes allemands du Reichstag Bueb, représentant de Mulhouse, et Bebel, représentant de Strasbourg de s'exprimer à Wissembach le 6 septembre 1896, en terre française, ce qui leur était pratiquement interdit en Alsace. Les deux furent aussitôt exclus. C'est pourquoi Guesde interpella le gouvernement et proclama la solidarité du prolétariat français et allemand. A la place d'une solution militaire il fit appel à la compréhension entre sociaux-démocrates allemands et français qui réclamaient pour les peuples de ces provinces le droit à l'autodétermination. Il rappela l'opposition des sociaux-démocrates allemands à l'annexion en 1870/71. Il attira l'attention sur le fait que les sociaux-démocrates allemands élus au Reichstag ont soutenu unanimement en 1874 la proposition des élus protestataires alsaciens de laisser à la population le droit de s'exprimer sur l'incorporation à l'empire allemand. Il fit allusion à un discours de Bebel du 20 octobre 1887 où celui-ci souligna qu'une grande partie de la population ne voulait pas être allemand. Bebel aurait encore critiqué l'annexion et précisé dans ce discours que la recherche d'une solution de réconciliation franco-allemande était un devoir sacré pour les gourvernants. Guesde rappela encore un discours de Liebknecht du 26 mars 1892.

 

Guesdes aurait encore pu faire référence à un article de Engels de 1891 pour l'Almanach du parti ourier de 1892 et qui est aussi paru dans Neuen Zeit sous le titre de « Le socialisme en Allemagne ». Dans cet article il montre les raisons qui l'on conduit à être contre une guerre de revanche. Jean Jaurès, dans son discours pour la paix du 23 janvier 1903 se trouve dans le même état d'esprit.

 

L'argumentation de Jaurès est différente de celle d'Engels mais le marxiste et le défenseur des droits de l'homme se rejoignent quand ils déclarent : pas de guerre mais aussi pas de renonciation. La victoire de la social-démocratie résoudra naturellement les conflits.

 

Faire admettre ce point de vue à la classe ouvrière française qui se sentait humiliée n'était pas aisé.

Nos camarades eurent à surmonter bien des résistances. Mais la logique des faits leur donnait raison et leurs idées progressaient. Leur point de vue se développa inexorablement dans les partis socialistes et dans le pays jusqu'à ce que la compréhension démocratique remplace l'idée de guerre de revanche. Le pacifisme devint une force du moins en France et en Angleterre.

  1. Les propositions pour une entente

 

Ceux qui aujourd'hui ne pensent qu'à une politique impérialiste ne voient pas la réalité de choses. Car pendant les dernières années qui précédaient la guerre l'impérialisme avait atteint son apogée en France et en Angleterre et sucité un mouvement d'opposition même dans les classes bourgeoises. Alors qu'en Allemagne l'impérialisme se développait, même chez les sociaux-démocrates. La réussite de l'industrie et de la classe ouvrière ne semblait pouvoir être atteinte que par des méthodes impérialistes. Cette idée était combattue par le radicalisme bourgeois en France et en Angleterre.

 

Le temps de la prospérité favorisée par les prix bas des denrées alimentaires était pourtant révolu. Le renchérissement du coût de la vie fit grandir le mécontentement dans le prolétariat. Pour financer la course aux armements les milieux bourgeois étaient placés devant l'alternative : augmenter les impôts au risque d'accroître le mécontentement ou supporter eux-même l'effort de guerre. Le danger de voir une nouvelle guerre grandissait et menaçait le monde plus que jamais de dévastation, de confrontation des classes, d'effondrement économique et politique et de révolution. Les protestations contre l'armement et la guerre se mirent à grandir. Mais les pacifistes se virent finalement contraints de s'attaquer aux racines du mal : l'impérialisme qui loin de favoriser la croissance conduisait à la ruine.

 

En France ce mouvement ne pouvait ignorer la conception socialiste de la question de l'Alsace et de la Lorraine qui gagnait même les milieux radicaux.

Déjà en 1905 les socialistes, alliés aux radicaux, réussirent à renverser Delcassé dont la politique au Maroc menaçait de conduire à un conflit armé contre l'Allemagne. Jaurès avait alors (19 avril) prononcé à la chambre un discours favorable à une compréhension entre la France et l'Allemagne.

 

L'attitude de Bülow à l'encontre de Jaurès fut caractéristique. Les camarades berlinois avaient invité Jaurès à prendre la parole dans une réunion sur la question de la paix et pour une meilleure compréhension entre la France et l'Allemagne. Le chancelier Bülow s'y opposa faisant référence à l'affaire Bebel et Bueb de 1897.

 

En 1911 le mouvement pacifiste était déjà si fort que la chambre des députés vota une résolution, par 447 voix pour et 56 contre, chargeant le gourvernement, en accord avec les gournements alliés, de mettre à l'ordre du jour de la conférence de La Haye la question du désarmement.

 

Finalement, une conférence réunissait à Berne en mai 1913 des parlementaires français et allemands dans le but d'arriver à une meilleure compréhension. 34 députés allemands étaient présents à cette conférence et 10 se sont excusés et parmi eux figurait un social-démocrate. 180 députés sont venus de France et parmi eux 50 socialistes. La majorité était formée par des députés bourgeois. 63 se sont excusés et parmi eux beaucoup de socialistes. On voit à quel point l'idée d'arriver à une meilleure compréhension avait fait son chemin en France.

 

Les méthodes et la perception des pacifistes n'étaient pas celles des sociaux-démocrates, du moins des marxistes, même si l'attachement à la paix était identique. La différence réside dans le fait que ces derniers pensaient arriver à la paix par la force, par la révolte du prolétariat. Pour arriver à une compréhension entre les peuples, l'essentiel était que dans chaque pays le prolétariat prenne le pouvoir.

 

Les pacifistes bourgeois par contre avaient moins confiance à la lutte des classes et au développement économique qu'elle pouvait entraîner. Ils cherchaient à réconcilier les acteurs des différenst gouvernements actuels, sans attendre une hypothétique révolution démocratique. Ils pensaient qu'il était possible d'arriver à une alliance pacifique entre les gouvernements, de trouver les bonnes propositions pour une meilleure entente.

 

De nombreuses propositions demandaient au gourvernement allemand de renoncer à l'Alsace et à la Lorraine, pour certains en échange de l'engagement du gouvernement français de céder une plusieurs de ses colonies à l'Allemagne. Même Gambetta envisageait cette hypothèse dans un entretien avec l'industriel mulhousien Auguste Lalance :

 

«Si un jour la France déclare la guerre à l'Allemagne et que victorieuse elle récupère ses chères provinces, les allemands considéreraient leur défaite comme une honte et mettraient tout en œuvre pour conduire une nouvelle guerre dans l'espoir d'en sortir victorieux. Ce serait alors une histoire sans fin.

Il serait plus judicieux de trouver une entente pacifique entre les deux pays pour obtenir une restitution par rachat ou en donnant en compensation des colonies ou des exemptions douanières.

Ce serait une solution honorable pour les deux pays et les deux peuples pourraient à nouveau se serrer la main. »(Auguste Lalance Mes souvenirs 1914)

 

Lalance en personne, en tant que député du Reichstag fit la proposition en 1888 d'échanger l'Alsace et la Lorraine contre le Tonkin. D'autres propositions de même natuure furent faites dans les années qui ont précédé la guerre. En particulier celles, célèbres, de Gustave Hervé publiées aussi en allemand dans le livre paru en 1913 de Fernau : Elsass-Lothringen und die deutsch französische Verständigung (Alsace-Lorraine et la réconciliation franco-allemande).

 

D'après lui la question de l'Alsace et de la Lorraine ne pouvait pas se résoudre par la force. Il fallait la transformer en une affaire commerciale et proposer un juste prix en échange. Il pensait que même si l'empereur tenait son pouvoir par la grâce de Dieu il n'en avait pas moins le sens des affaires. Une autre solution avancée serait de transformer cette province en un état indépendant. Hervé se disait prêt à envisager une solution qui combine les deux propositions...

 

Ces propositions trouvèrent un écho même au Reichstag. Anton Nyström, auteur suédois indépendant qui cotoyait les cercles de pouvoir en France et en Allemagne a écrit un livre intéressant sur cette question en 1903 dont voici un extrait :

 

« En Allemagne, à l'heure actuelle, on est encore opposé à la neutralisation ; en France au contraire elle serait acceptée volontiers. Ce serait même d'après ce que j'ai entendu dire, une solution qui réunirait chez les français la presque totalité des suffrages.

Il serait, cependant, bien nécessaire de consulter les alsaciens et les lorrains ! Il me paraît qu'ils sont les mieux qualifiés pour émettre un avis ! Or, je les ai trouvés tout à fait opposés à une telle soltution. Non seulement parce qu'ils craignent de rester sous le protectorat militaire de l'Allemagne, mais surtout à cause de la situation économique que cela leur créerait. »

 

Ils seraient notamment enfermés dans les frontières douanières allemandes et françaises ce qui était une situation de marché insupportable pour l'industrie alsacienne et lorraine.

Mais à cette objection on trouva une solution. L' Alsace et la Lorraine devraient constituer un état fédéral avec la Suisse, le Luxembourg et la Belgique qui se trouvaient dans une situation identique de pays neutres dont la population s'exprimait moitié en allemand (ou flamand) et moitié en fraçais. La Suisse pourrait même obtenir une ouverture sur la mer et avoir une flotte maritime. Et puis nous avons déjà vu que les relations entre l'Alsace et la Suisse étaient importantes au 17ème siècle. Cette solution faisait revivre l'idée d'un empire du milieu connu sous le règne de Lothaire et que Charles le Téméraire voulait reproduire. L'Allemagne et la France seraient séparées l'une de l'autre par une ceinture de territoires neutres ce empècheraient tout conflit.

 

 

Nous n'allons pas nous étendre sur les objections suscitées par ce marchandage dans le camp des sociaux-démocrates. Ils ne voient dans la possession de colonies aucun avantage pour un pays démocatique mais considèrent toutefois qu'il ne faut pas oublier qu'en échangeant les territoires on échange aussi les populations auxquelles, bien entendu, on ne demande pas leur avis.

Cette solution semblait toutefois acceptable car il ne s'agissait pas d'enlever la liberté aux populations mais simplement de les placer sous une autre tutelle. Si on arrivait, au prix d'une colonie, à instituer une relation d'amitié entre la France et l'Allemagne, ce serait un progrès si considérable qu'on pourrait fermer un œil sur l'échange des êtres humains...

 

Toutes ces propositions n'étaient pas nouvelles elles étaient déjà apparues lorsque la question de l'annexion se posait. La question de la neutralité de l'Alsace-Lorraine avait déjà été évoquée et Bismarck l'a écartée dans son discours du 2 mai 1871 :

 

« Une autre solution serait la création d'un état neutre comme la Belgique ou la Suisse. Il y aurait donc une chaîne d'états neutres allant de la Mer du Nord aux Alpes qui nous empêcheraient d'attaquer la France par la terre. Mais la France pourrait toujours nous attaquer par mer.

 

Mais la raison première pour laquelle ce n'est pas une solution viable c'est que la neutralité n'est possible que si le peuple la veut et est prêt à la défendre par les armes comme jadis l'ont fait la Belgique et la Suisse. »

 

Cette perspective est inenvisageable car en cas de guerre l'Alsace et la Lorraine rallieraient toujours la France...

 

Dans les milieux nationalistes allemands ce point de vue de Bismarck était déterminant. D'autant plus déterminant après 40 années d'annexion à l'empire..

 

 

  1. L'autonomie

 

En France, beaucoup d'adeptes de la paix voyaient que les propositions d'échange ou de neutralité n'avaient aucune chance d'aboutir. Ils arrivèrent à la conclusions que pour arriver à un rapprochement entre la France et l'Allemagne, il fallait mettre un terme à la situation particulière de ces territoires d'empire et leurs accorder un autonomie républicaine. Ils pensaient ainsi apaiser leur conscience démocratique en n'abandonnant pas l'Alsace et la Lorraine.

 

Dans son livre sur l'Alsace et la Lorraine Hervé considère cette solution comme la solution minimale.

« L'Alsace-Lorraine obtient une autonomie républicaine tout en restant dans la confédération des états allemands. »

 

Sembat, dans son livre de 1913,  Faites un roi, sinon faites la paix,  va encore plus loin. … Il considère la guerre comme inévitable si on n'arrive pas à une détente entre la France et l'Allemagne. La question de l'Alsace divise les deux pays et doit être évacuée à tout prix. L'Allemagne n'acceptera jamais ni un échange, ni un partage du pays avec abandon de l'Alsace-Lorraine à la France ni une solution de neutralité. Les alsaciens ont à cœur d'obtenir la garantie d'une autonomie républicaine et la démocratie française doit tout mettre en œuvre pour atteindre ce but. Le gouvernement allemand n'acceptera jamais que la garantie de l'autonomie soit le prix à payer pour discuter d'une entente entre les deux pays. Aussi longtemps que la France ne renonce pas à l'Alsace-Lorraine celle-ci n'accèdera pas à l'autonomie. Dans l'intérêt de la paix mondiale et dans l'intérêt des alsaciens la France doit se résoudre à cette extrémité. Alors l'Alsace accédera à l'autodétermination.

 

« Sitôt que la France aurait vraiment accepté le statu quo et signé le traité de Fracfort, un seul cri, une seule voix retentirait par toute l'Allemagne ! Il n'y aurait pas besoin des sociallistes, ni des Alsacien-Lorrains, L'Allemagne s'écrierait : « Donnez maintenant à l'Alsace-Lorraine la liberté et la dignité d'Etat allemand ».

Seulement, pouvons-nous, - je reviens à ma question – pouvons-nous accepter cela ?

Je suis convaincu que l'Alsace-Lorraine est prête à l'accepter ; et même qu'elle le souhaite et nous le demande. »

 

Sur la manière d'arriver à l'autonomie les avis peuvent diverger. Sera-t-elle suffisante pour satisfaire les vœux des alsaciens ? Une chose est sûre, après cette période où des voix s'élevèrent pour réclamer la revanche, ils réclamaient l'autonomie et la considéraient comme une condition indispensable pour accepter l'annexion à l'Allemagne. Les Alsaciens-Lorrains réclamaient l'autonomie d'autant plus fortement qu'ils y voyaient un moyen d'éviter de nouveaux conflits entre la France et l'Allemagne. Une chose était sûre, la nouvelle guerre allait menacer l'Alsace et la Lorraine d'importantes dévastations surtout en cas de victoire de la France qui allait alors envahir l'Allemagne. C'était le prix à payer pour une désannexion par la guerre.

 

Même les protestataires les plus belliqueux et les plus fervents adeptes de la France en Alsace-Lorraine étaient effrayés par une nouvelle confrontation.

 

En 1911 le « Reichsland » obtint une nouvelle constitution qui si elle ne retirait pas le statut particulier de ces territoires, était tout de même condidérée comme un premier pas vers l'autonomie.

 

Cette constitution donna au Reichsland un parlement avec une chambre haute composée pour moitié de délégués nommés par l'empereur et pour l'autre moitié de délégués des Chambres de Commerce, des maires des grandes villes et de représentants du clergé, et d'une chambre basse élue. Le gouverneur était designé comme précédemment par l'empereur. Le germe de l'autonomie c'était l'introduction de la chambre basse qui était unanimement pour l'autonomie et contre toute guerre. Le 6 mai 1913, à l'unanimité et sans débat, elle formula la proposition suivante suivante :

 

« de voir le gouverneur et d'informer les représentants d'Alsace-Lorraine au Bundesrat qu'ils se prononçaient avec fermeté contre l'idée d'une guerre entre la France et l'Allemagne. Ils demandaient au Bundesrat de rechercher par tout moyen un rapprochement entre la France et l'Allemagne car celui-ci permettrait de mettre un terme à la course aux armements des puissances européennes. »

 

En septembre de la même année, le congrès de Iéna du parti social-démocrate allemand, adopta la motion en provenance de Colmar et approuvée par Grumbach.

 

« C'est avec joie que le Congrès se dit favorable à la conférence de Berne réunissant des parlementaires français et allemands et voit dans cette rencontre un pas déterminant vers la compréhension entre les deux pays. 

 

Le Congrès s'attend à ce que le grand nombre de participants français et républicains des deux chambres soit perçu par le peuple allemand comme une preuve d'attachement à la paix et de volonté de recherche d'un terrain d'entente entre les deux peuples. Il espère par conséquent que le gouvernement, le Bundesrat et le Reichstag accordent à l'Alsace-Lorraine l'autonomie réclamée par la population ainsi qu'une constitution qui garantisse les mêmes droits qu'aux autres états de la confédération et ce dans le but de rapprocher les peuples et de préserver la paix. »

 

Un an plus tard c'était la guerre ; et pas pour le bien de l'Alsace-Lorraine.

 

 

 

15. La signification économique du statut de Reichsland

 

 

La guerre apporta en toutes choses, et aussi sur la question de l'Alsace-Lorraine, des bouleversements dans l'attitude des partis socialistes. Le parti socialiste français se prononça pour la poursuite de la guerre jusqu'au rétablissement des droits bafoués en 1871. Le Congrès du parti socialiste français du 27 au 29 décembre apporte les précisions suivantes :

 

« Il ne peut y avoir de paix durable tant que les peuples opprimés en Europe n'accèdent pas au droit d'autodétermination, tant que le lien entre la France et l'Alsace-Lorraine n'est pas rétabli, lien qui a été rompu avec brutalité par la force en 1871, malgré les recommandations de Bebel et de Liebknecht. Lorsque ce lien sera rétabli , la France comprendra et demandera, avec prudence et loyauté, aux alsaciens et lorrains de se prononcer sur leur désir de faire partie de la communauté française, vœu exprimé par leurs représentants lors de l'Assemblée Nationale de Bordeaux. »

 

Eduard David, dans son livre « Die Sozial-Demokratie im Weltkrieg » (Les social-démocratie pendant la guerre) s'oppose à cete idée :

 

« la volonté du peuple dans un pays conquis et occupé militairement n'a pas besoin d'être prise en considération. »

 

Je ne sais si David pense que dans un pays conquis la volonté du peuple est davantage prise en compte si on ne lui demande pas son avis. Ce n'est pas tant sur la question de l'autodétermination que réside le changement des socialistes français que sur la demande de poursuite de la guerre jusqu'à ce que l'Allemagne restitue les provinces annexées.

 

Jusqu'au mois d'août 1914 tous les socialistes français pensaient que la guerre était une calamité plus importante que l'annexion de l'Alsace-Lorraine par les allemands, même dans le cas, d'ailleurs non établi, où la population souhaitait se séparer de l'Allemagne...

Bien sûr, ils ne voulaient pas la guerre parcequ'ils plaçaient tous leurs espoirs dans une démocratie sociale...

 

En août 1915 le goupe parlementaire du Reichstag et la direction du parti fixèrent les objectifs militaires de la démocratie sociale allemande :

 

«La protection de notre indépendance politique et de l'intégrité de l'empire allemand nécessite que l'on se défende contre toute volonté d'agression des ennemis.  C'est aussi vrai pour la demande de rattachement de l'Alsace-Lorraine à la France, quelqu'en soit la forme. »

 

Le point de vue retenu n'est donc pas celui de l'autodétermination mais c'est bien l'intégrité territoriale qui est le principal objectif sans qu'il soit question d'autonomie.

D'où vient ce changement d'attitude ? Qu'est-ce qui a changé depuis Engels, Bebel et Liebknecht ?

Seraient-ce les bouleversements économiques survenus depuis qui ont rendu ces provinces indispensables à l'économie allemande ? Serait-ce un cas où l'économie entre en conflit avec la démocratie et devient plus importante qu'elle ?...

Est-ce que l'Alsace-Lorraine n'est pas un de ces cas où les exigences démocratiques doivent s'incliner devant les nécessités économiques. C'est la dernière question qui va nous préoccuper...

 

Quessel dans un article de 1917 sur l'Alsace-Lorraine et la Mésopotamie (Elsass Lothringen und Mesopotamien) exprimaii l'idée qu'il était vital pour les classes laborieuses que l'Alsace-Lorraine restât lié à l'empire allemand.

 

« On peut dire avec certitude que l'Alsace-Lorraine n'a pas le même intérêt économique pour la France que pour l'Allemagne. La France détient dans ses colonies, essentiellement au Maroc, de riches gisements miniers qui n'attendent qu'à être exploités. Ces gisements représentent une richesse bien supérieure à ceux de l'Alsace-Lorraine. Les français peuvent se passer des terres agricoles et viticoles de l'Alsace. Il n'y a pas de pays en Europe qui a autant ressources agricoles et viticoles. »

 

Quessel a-t-il pensé où pouvait conduire ce type d'argumentation si on le généralisait ? Ce qui manque à la France pour favoriser le développement industriel ce sont les gisements miniers. Le Sud de la Belgique et la Sarre sont par contre bien purvus. Qunad l'Alsace-Lorraine était encore français les gouvernants français lorgnaient déjà du côté de la Sarre. Un Quessel français pourrait donc dire que la Sarre est plus importante pour la France que pour l'Allemagne qui dispose déjà de richesses minières abondantes dans la Ruhr et en Silésie.

 

Encore plus étrange est sa remarque sur les gisements importants de potasse :

 

« Comme nous sommes dépendants de l'Amérique et des colonies britanniques en matière de coton, de céréales, de laine, de pétrole etc...les pays du monde par contre s'approvisionnent chez nous en potasse. Si l'Alsace-Lorraine rejoignait la France ces pays pourraient s'approvisionner en France. »

 

H. Wendel dans son écrit de 1916 Alsace-Lorraine et démocratie sociale (Elsass-Lothringen und Sozialdemokratie) avance un autre argument. Il fait référence au danger pour l'Allemagne si la viticulture et l'industrie textile d'Alsace-Lorraine devenaient françaises :

 

« Les anciens viticulteurs se rapellent encore avec effroi comment la viticulture alsacienne a été menacée par les vins français à bas prix avant 1870 et comment l'annexion à l'empire a permis de la sauver en l'isolant du marché français. L'annexion de ces provinces à la France entrainerait à nouveau les mêmes conséquences. 

Le même sort serait réservé à l'industrie textile... »

 

Wendel prend en considération l'intérêt des alsaciens-lorrains à rester dans l'empire et non l'intérêt de l'empire pour l'Alsace-Lorraine. Si on allait vers l'autodétermination, ces arguments auraient leur importance...

D'après Wendel la viticulture alsacienne a été sauvée par l'annexion. Mais pourquoi alors cette unanimité contre l'annexion ? Si Wendel pense que la viticulture a été sauvée par le retrait du marché français son playdoyer concerne davantage la politique douanière.

En ce qui concerne l'industrie textile mulhousienne Wendel ne fait que répéter les sombres prophéties de 1870 et 1871 du déclin de celle-ci suite à la modification des frontières.

Toute modification de frontières entraîne des crises et des difficultés...

 

Wendel comme Quessel avancent un autre argument aussi soutenu par le député Otto Hue. Wendel cite un extrait de son discours au parlement de Prusse le 18 février 1916 :

 

« Il faut relever que nous sommes de plus en plus dépendants des minerais riches en phosphore de Lorraine et je considère que si l'Alsace-Lorraine était séparée de l'Allemagne ce serait un coup mortel pour la sidérurgie allemande qui, avec la sous-traitance, emploie plusieurs millons d'ouvriers. »

 

On met donc l'accent sur le fait que l'annexion de ces provinces à l'Allemagne est déterminante pour son industrie.

Il faut quand même souligner que ce facteur n'a rien à voir avec l'Alsace. Il s'agit ici de régions riches en minerai de fer et qui s'étendent du sud de la Belgique à Nancy en longeant la Moselle. C'est la réserve la plus importante d'Europe et essentielle depuis l'introduction du procédé Thomas qui reposait sur l'utilisation de minerais riches en phosphore. Depuis les années 90 cette région devenait déterminante pour l'industrie allemande.

 

Les statistiques de l'empire allemand indiquent pour 1911 15,2 millions de tonnes de production de l'industrie sédérurgique avec pour l'Alsace-Lorraine 2,9 Millions. Sur un chiffre d'affaires de 993 millions de marks la contribution du Reichsland était de 136 millions. La contribution de l'Alsace-Lorraine était donc importante mais il serait exagéré de dire qu'elle était vitale pour l'industrie allemande...

16. Conclusion

 

Nous sommes arrivés à la fin de l'exposé des facteurs qui sont à prendre en considération lorsque l'on évoque la question de l'Alsace-Lorraine.

Tout le monde parle de cette question, elle au centre de toute discussion sur les objectifs de la guerre. Mais il y a des personnes qui prétendent que ce problème n'existe pas. Edouard David dans son livre La démocratie sociale pendant la guerre (Die Sozialdemokratie im Weltkrieg), en évoquant les socialiste français, dit ceci :

 

« Ils auraient pu savoir en consultant les publications de notre parti (sociaux-démocrates) que la question de l'Alsace-Lorraine n'était depuis longtemps plus une de nos préoccupations. »

 

Cette question opposant des peuples ou des états ne dépend pas du bon-vouloir des socialistes. Tant que l'une des parties estime qu'elle est importante, elle reste d'actualité.

Une montagne que je dois franchir existe toujours même si je ferme les yeux et que je ne la vois plus. Jadis déjà des pacifistes bourgeois se moquèrent des politiques qui prétendaient que la question de l'Alsace-Lorraine n'existait pas. Ils évaluaient le coût de la politique d'armement allemande et française qui découlait de cette question.

 

Il est exagéré de dire que la course aux armements était la conséquence exclusive de la question de l'Alsace-Lorraine. Mais il n'y a pas de solution tant que cette question n'est pas résolue...

Mais comment la résoudre ? Aujourd'hui la France réclame le retour de l'Alsace-Lorraine. Si elle arrivait à conquérir à nouveau le Reichsland la question serait-elle résolue ? Pas du tout...

Écoutons les paroles de Jaurès :

 

« Dans la situation conflictuelle dans laquelle se trouve le monde la guerre ne peut être une solution. Nous exposerions ceux que nous voulons arracher par la force à une guerre sans fin. »

 

Pour les sociaux-démocrates il ne s'agit pas de savoir à qui doit appartenir cette province mais comment pouvons-nous faire pour réconcilier la France et l'Allemagne, comment pouvons-nous aider la population d'Alsace-Lorraine sur la voie de l'autodétermination.

 

La difficulté ne réside pas dans l'absence de propositions pratiques. Nous les avons passées en revue. La solution n'est pas militaire mais réside dans la force de la démocratie du prolétariat. 

 

 

 

1Traité de Verdun.

2Couronnement d’Othon le Grand.

 

3Arsène Legrelle : Louis XIV et Strasbourg 1878.

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