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Le Haut-Koenigsbourg en Alsace jusqu'en 1871

Traduction d'extraits de l'étude : Die Hoh-Königsburg im Elsass publiée par le Club Vosgien de Sélestat 1878. L'étude s'appuie sur les travaux de Spach, Grandidier, Chemnitz et sur des documents d'archives.

Sommaire :

 

  1. La période lorraine des origines incertaines jusque vers 1380. - Le Haut-Koenigsbourg et Saint-Hippolyte - Les nobles de Werd, landgraves de Basse Alsace – Les nobles de Rathsamhausen – Les comtes de Oettingen landgraves de Basse-Alsace – Les conflits entre les ducs de Lorraine et les évêques de Strasbourg.

  2. La période épiscopale de 1380 jusqu'en 1470 – La séparation de Saint-Hippolyte du Haut-Koenigsbourg – Le Haut-Koenigsbourg occupé par les chevaliers brigands – Le château détruit devient possession de la maison Habsbourg.

  3. La période habsbougeoise de 1470 à 1648 – Le Haut-Koenigsbourg et Orschwiller - Les comtes de Thierstein et la reconstruction du château - Les baillis - Les Sickingen (1ère partie) - Rodolphe de Bollwiller - Les Fugger – Occupation et destruction du château par les Suédois.

  4. La période française de 1648 à 1871 – Les Sickingen (2ème partie) – Le Haut-Koenigbourg en possession des Boug d'Orschwiller et d'autres propriétaires – Le Haut-Koenigbourg acheté enfin par la ville de Sélestat.

 

 

 

Pour bien vivre dans le présent il faut savoir vivre dans le passé de son pays et de son peuple.

 

 

Les nombreuses ruines de châteaux forts des Vosges sont le principal attrait de nos montagnes. De loin déjà, elles frappent notre regard et quand, de la ville (Sélestat) nous rejoignons la gare et que nous dénombrons dix à douze d'entre-elles qui coiffent nos collines. Si, nous gravissons ces montagnes pour aller à leur rencontre, cet attrait grandit encore quand, en parcourant ces vestiges, nous laissons vagabonder notre esprit et nous imaginons les salles, les chambres à oriels avec les chevaliers, dames de cour et ménestrels, les cours intérieures avec chevaux, voyageurs et tournois. Mais tout ceci n'est qu'un rêve, c'est dans les archives et dans les actes qui y sont conservés, que nous trouvons les informations sur l'origine des châteaux, sur les chevaliers qui les occupaient et sur les événement qui s'y déroulaient.

 

C'est l'action vivante et conjointe des informations historiques et de ces ruines qui suscite notre curiosité. Un acte ancien sur le Haut-Koenigsbourg nous incite à aller à la rencontre du château et après l'avoir visité notre intérêt grandit et nous encourage à nous replonger dans les archives...

 

  1. La période lorraine à partir des origines incertaines jusque vers 1380

 

Malheureusement, aucun document ne nous apporte des informations précises sur la date ou les circonstances de l'origine première du château qui se perd dans la brume de l'ancien temps. Nous sommes donc contraints à faire des suppositions dont aucune ne l'emporte en crédibilité. L'origine du château remonte-t-elle à l'époque romaine ou comme on le raconte pour le Frankenbourg à la période des rois francs, qui après la victoire de Tolbiac remportée par Clovis sur les Alamans régnèrent sur le pays entre Vosges et Rhin ? Ou encore, comme semble l'indiquer l'ancien nom du château de « Estuphin », à la période des Hohenstaufen, ou aux ducs de Lorraine descendants d'Etichon ? Le débat ne sera vraisemblablement jamais tranché.

 

Sans prendre position pour l'une ou pour l'autre de ces hypothèses, force est de constater que c'est sous l'avant dernier empereur des Hohenstaufen, Frédéric II, dans la première moitié du 13ème siècle, qu'apparaît le Haut-Koenigsbourg comme fief lorrain en relation avec Saint-Hippolyte et son monastère et avec, comme occupant, le seigneur de Werd, landgrave de Basse-Alsace. Après la mort du landgrave Henri de Werd, ce fief est allé à Cuno de Begheim.

 

NB : en ce qui concerne la fondation de Saint-Hippolyte et du monastère voir ici.

 

A la fin du 13ème siècle, époque de l'Interrègne, il semble que ce soient les seigneurs de Rathsamhausen qui entrèrent en possession du fief, au moins en partie car dans un acte du 22 septembre 1267 les différentes branches de cette célèbre famille s'engagent à ne céder aucune partie du château sans l'assentiment des autres membres de la famille.

 

Alors que l'historien Schoepflin pense que l'acte concerne le château et la ville de Kintzheim possédés par la famille Rathsamhausen à la fin du 13ème siècle, Spach fait remarquer avec raison que le fief de Kintzheim n'est attribué aux Rathsamhausen par Rodolphe de Habsbourg qu'en 1288, soit 21 ans plus tard et que l'acte de 1267 précise bien qu'il s'agit du château de « Kunegesberg » et porte au dos la mention « Hoehenkunigsperg das Schloss ». Nous ne trouvons pas d'autres informations sur appropriation partielle du fief par les Rathsamhausen.

 

Quoi qu'il en soit, nous retrouvons les de Werd en possession du fief dans la première partie du 14ème siècle. Après le dernier de Werd, ce sont les comtes d'Oettingen, landgraves de Basse-Alsace, qui cédèrent le château ainsi que Saint-Hippolyte et ses dépendances, le 25 janvier 1359, sous le règne de Charles IV de Luxembourg, pour 10000 florins or à Jean de Lichtenberg, évêque de Strasbourg. Mais comme ce contrat a été conclu sans demander l'avis du feudataire principal, le duc de Lorraine, le duc Jean Ier considéra ce contrat comme une félonie et donna le château et Saint Hippolyte en sous-fief à Bourcard de Finstingen. Ceci donna naissance à une querelle entre le prince-évêque et le seigneur de Finstingen.

 

On confia le litige à un tribunal arbitral composé de membres de la noblesse et le duc de Lorraine déclara se soumettre à son verdict sous réserve de conserver ses prérogatives de feudataire principal. Le comte d'Oettingen signa un acte datant du 1er Juillet 1369 dans lequel il reconnaissait que le Haut-Koenigsbourg et Sait-Hippolyte étaient originellement un fief lorrain. Trois autres actes du duc de lorraine, l'un français et les deux autres allemands , datant du 2 juillet de la même année, sont conservés dans les archives de la Chambre des Comptes de Nancy. Dans le premier il confie le château et Saint-Hippolyte en fief à Bourcard de Finstingen. Dans le deuxième il précise qu'il n'a jamais confié ce fief aux comtes d'Oettingen ni au landgrave Jean, fils de Ulrich de Werd et dans le troisième il confirme se soumettre à la sentence du tribunal.

 

Le tribunal se réunit à Strasbourg le 8 juillet 1369 et se prononça en faveur de l'évêché de Strasbourg, au dépens de Bourcard de Finstingen. Il confirma que l'évêque Jean était dans son droit, du fait de l'acte de cession, d'entrer en possession de Saint-Hippolyte et du château. Cette sentence ne mit pas un terme au litige et c'est le successeur de Jean de Lichtenberg, l'évêque Lambert de Buren qui s'appropria le fief par la force. Le duc de Lorraine confia même le fief à son beau-père Eberhard de Wurtemberg.

 

Enfin l'évêque Frédéric de Blankenheim, par un accord d'échange va mettre un terme au litige. Le comte de Wurtemberg est dédommagé en lui octroyant la ville de Hechingen en Souabe, le château va rester en possession de l'évêché pendant une centaine d'années et Saint Hippolyte par contre restera un fief lorrain.

 

II. La période épiscopale

 

Le 15ème siècle était une époque de troubles et d'anarchie pour l’Église et l'Empire. Rappelons les différents conciles, Pise, Constance, Pavie et Bâle et la loi sur la Paix destinée à mettre un terme aux querelles et aux pratiques des chevaliers-brigands. Les désordres étaient particulièrement importants sous le règne de Frédéric III appelé aussi l'endormi impérial.

 

Le château du Haut-Koenigsbourg situé entre la Suisse et la bassin rhénan attira les chevaliers-brigands et ce, malgré la souveraineté épiscopale. En 1450, une bande de brigands qui s'intitulèrent chevaliers occupa le château. Comme des oiseaux de proie ils s'élancèrent de cette hauteur pour fondre sur les commerçants qui de Bâle se dirigeaient vers Strasbourg ou Francfort. On apprend même qu'avec l'accord du bailli Walter de Dhan de Marckolsheim ils dépouillèrent un cortège nuptial, composé d'une centaine de personnes, qui se dirigeait de Fribourg vers Colmar. Ils firent aussi quelques prisonniers qu'ils amenèrent en otage au Haut-Koenigsbourg pour percevoir une rançon. Comme cet événement toucha quelques notables, les villes de Strasbourg, Sélestat et Colmar envoyèrent une armée conduite par les frères Jean et Antoine de Hohenstein qui contraignit les brigands à capituler pour garder la vie sauve.

 

Le château fut vendu mais l'année suivante d'autres brigands se réinstallèrent dans ce lieu ô combien stratégique. Il fallut à nouveau supporter leurs méfaits pendant plusieurs années, jusqu'en 1462 où leur excès de zèle provoqua une mobilisation générale dans le pays. Parmi les occupants du château se trouvait alors un certain Adam Riff, un fils non désiré de l'Ammestre de Strasbourg et c'est sous sa direction que les brigands attaquèrent une famille de patriciens de Strasbourg qui se dirigeait vers Bâle. Ceci provoqua une levée de boucliers dans tout le pays. L'évêque de Strasbourg, le seigneur de Rappolstein et l'archiduc Sigismond d'Autriche en tant que seigneur de Haute-Alsace s'allièrent aux villes pour combattre ces vauriens. Strasbourg mis à disposition son artillerie alors remarquable qui bombarda le château durant 5 jours à partir d'une hauteur située sur le versant Sud. On laissa aux occupants la vie sauve mais pour éviter toute nouvelle mésaventure, on détruisit le château qu'on plaça sous la souveraineté du plus puissant des alliés, l'archiduc Sigismond d'Autriche. A l'épisode lorrain, à celui épiscopal va suivre la période habsbourgeoise.

 

  1. La période habsbourgeoise de 1470 à 1648

 

 

En l'an 1480 l'archiduc Sigismond donna le château en fief aux frères Oswald et Guillaume de Thierstein et c'est sous la direction d'Oswald de Thierstein que fut entreprit sa reconstruction. Les Thierstein étaient une importante famille noble originaire du Fricktal en Argovie et apparentée aux Habsbourg. L'acte d'inféodation de l'archiduc Sigismond énumère les éminents services rendus par cette famille. Les Thierstein étaient portes drapeaux lors de la fameuse bataille de Sempach célébrée par le tableau intitulé « Winkelried's Heldentod » de Conrad Grob (1386). Cette bataille a mené à la mort la noblesse alsacienne opposée aux suisses. Le père d'Oswald, le comte Jean était landvogt autrichien en Alsace et protecteur du concile de Bâle. Oswald, également landvogt en Alsace, a rendu, avec son frère Herrman, de grands services à la maison d'Autriche dans les conflits qui l'opposaient au duc de Bourgogne Charles le Téméraire.

 

Si les archives du 13ème au 15ème siècle ne nous apportent que peu d'informations sur le Haut-Koenigsbourg, celles qui concernent la période Habsbourgeoise ne sont guère plus prolixes. Ces archives de la Régence Autrichienne ont été transférées dans le fort de Brisach pendant la Guerre de Trente Ans et se trouvent à l'heure actuelle aux archives départementales de Strasbourg et de Colmar.

 

Dans un acte datant du 28 juin 1487 l'empereur Frédéric III précise que le Haut-Koenigsbourg n'est pas une possession impériale mais une propriété de la maison d'Autriche. Son successeur, Maximilien 1er confirme dans un acte de 1501 Henri de Thierstein comme feudataire. Comme Saint-Hippolyte durant la période lorraine, Orschwiller se trouve maintenant liée au Haut-Koenigsbourg.

 

La puissance croissante de la maison de Habsbourg suscita l'apparition d'envieux et d'ennemis tant à l'intérieur de l'empire qu'à l'extérieur. Parmi les ennemis de l'intérieur nous trouvons en première ligne le comte palatin Philippe alors landvogt de Basse-Alsace et protecteur de la Décapole. En 1504, Jacques de Fleckenstein, qui résidait à Haguenau comme « Unterlandvogt », lui fit parvenir un courrier accompagné d'un rapport du commandant Albert de Berwangen dans lequel celui-ci expose ses plans pour s'emparer du Haut-Koenigsbourg en prenant d'abord d'assaut l'ancien château, pour peu qu'on lui fournisse une petite armée de guerriers résolus. Ce plan aventureux, selon toute vraisemblance, va trouver un écho favorable auprès du comte palatin. Encore aujourd'hui nous pouvons voir les ruines des deux châteaux éloignées d'environ 200 mètres.

L'ancienne ruine, délaissée aujourd'hui par les touristes, est située à l'Ouest du Haut-Koenigsbourg.

L'origine et l'utilité de cet ancien château restent encore aujourd'hui un mystère. Visiblement il ne s'agit pas comme le prétendent certains d'une annexe ; l'ancien château était vraisemblablement déjà en ruine quand le nouveau château fut achevé. Seul Viollet-leDuc, dans son Dictionnaire Raisonné de l'Architecture Française, semble avoir reconnu dans la salle du Rez-de-Chaussée des vestiges d'un ancien château.

 

Les Thierstein ne restèrent en jouissance du château rénové que pendant près de 40 ans. En 1517, Henri de Thierstein sentant sa fin proche et sans descendance, vendit ses droits à l'archiduc, futur Charles Quint, pour 12000 Florins. L'acte de cession à peine établi, Henri de Thierstein va s'éteindre ainsi que la dynastie des comtes de Thierstein.

 

La disparition du comte Henri de Thierstein va entraîner le déclin du Haut-Koenigbourg qui ne va plus être le siège d'une grande famille mais être administré d'abord par une série de prévôts qui résidaient dans un village environnant, généralement à Bergheim. Nous pouvons citer notamment : Armstorffer (1521), Martin de Thann (1522), Urbain de Landeck (1527), Jean Henri de Landeck (1529) et Jean de Fridingen (1530) dont nous conservons son acte de nomination et un précieux inventaire du château.

 

L'acte de nomination énumère les devoirs et les droits du prévôt. Celui-ci devait notamment se charger de l'entretien du personnel  et des bêtes : un valet d'arme, un garçon d'écurie, trois chevaux et quatre ânes, un armurier, un caviste, un cuisinier, un auxiliaire de cuisine, un boulanger, deux âniers, des bûcherons pour alimenter le château en bois, six gardes, un garde de jour pour la tour de guet, un portier, un maréchal-ferrant, un aumônier, deux servantes pour s'occuper des couchages, des draps de lin et du mobilier. Pour leur entretien le prévôt perçoit annuellement 800 Florins.

 

En examinant cette énumération il faut avouer que nous sommes loin des représentations romantiques que nous nous faisons de la vie de château. A peine 10 ans après la mort du dernier Thierstein et 50 ans après sa reconstruction, le château était dans un triste état. Nous nous trouvons à la frontière de deux époques : le Moyen-Âge, dont le Haut-Koenigbourg était un fleuron, touche à sa fin et en même temps que Henri de Thierstein, Maximilien, le dernier chevalier disparaît. Un nouveau monde est en train de naître dans lequel ces châteaux-forts perchés sur la montagne vont perdre de leur importance.

 

Dans le deuxième document de 1530, l'inventaire du château, nous nous apercevons, que 29 ans après la mort d'Oswald, une chambre porte encore le nom de « chambre d'Oswald ». et conserve le mobilier d'époque : lit à baldaquin, lourds rideaux damassés, une étoffe jadis précieuse, aux couleurs de l'Autriche noir et jaune, le tout poussiéreux voir déchiré. On trouve aussi la collection d'armes d'Oswald dans la salle d'armes. Sur les murs on peut encore apercevoir la représentation des armoiries et des décorations des casques du comte Oswald. L'inventaire est aussi intéressant par la description de l'architecture intérieure du château.

 

Le Haut-Koenigbourg ne resta pas longtemps entre les mains de Fridingen et des prévôts. En 1533 ce sont les frères Sickingen, Schweickard, Johann et François Conrad qui obtiennent ce fief autrichien. Ce sont les fils du célèbre François de Sickingen. Les feudataires acquittèrent 1800 florins à Fridingen et 1300 à l'archiduc Ferdinand. Le Haut-Koenigbourg resta entre les mains des Sickingen de 1533 à 1616 soit 73 années. Nous ne connaissons de cette époque que les tractations financières dont bénéficièrent les feudataires : une solde de 200 florins et des frais de construction de 1000 florins de la part de Ferdinand, futur empereur (1536) et une somme de 3000 florins en dédommagement des munitions livrés par leur père à Charles Quint lors du siège de Mézières.

Il n'y a rien d'autre à signaler durant cette période, pas de faits d'armes, ce qui étonne quand on sait que le père, durant les troubles de la Réforme, était si ambitieux et avide de prouesses. On peut se demander, comme Spach, ce qu'aurait fait le père s'il avait été en possession d'une telle forteresse, lui qui, à partir de modestes châteaux-forts palatins, semait la terreur dans les rangs de ses ennemis.

 

Un nouveau changement dans la possession du Haut-Koenigbourg intervient au début du 17ème siècle. Le château va passer des Sickingen à la famille Bollwiller. C'est une ancienne famille noble d'Alsace ; Gérard de Bollwiller est à l'origine de la création du monastère de Goldbach en 1135. Au début du treizième siècle les Bollwiller apparaissent comme feudataires de l'évêché de Strasbourg. En 1547, Jean de Bollwiller obtient le titre de seigneur d'empire, il était archichancelier de Charles Quint, échanson du roi d'Espagne et représentant à la Chambre Impériale. Son neveu, Rodolphe de Bollwiller devint au début du 17ème siècle maréchal de l'archiduc Ferdinand. Comme il détenait en fief autrichien le Val de Villé, il entra en négociation avec la Régence d'Ensisheim et le gouvernement archiducal de l'Autriche antérieure d'Innsbruck au sujet du Haut-Koenigsbourg sous le prétexte que les habitants du Val de Villé devait pouvoir disposer d'un lieu de refuge compte tenu de l'éloignement de la ville de Sélestat. S'en suivit une abondante correspondance entre les parties. On envoya des commission sur les lieux pour constater l'état de la forteresse. Les négociations se déroulaient sous une double exigence, la volonté des Sickingen de se retirer et la nécessité pour les Bollwiller d'entreprendre une restauration du château.

Le 22 janvier 1605 le gouvernement d'Innsbruck demanda à la Régence d'Ensisheim un état des lieux et celle-ci répondit le 29 du même mois qu'outre la forteresse de Brisach, il n'existait pas de lieu, entre Bergheim et Colmar, susceptible d'assurer une meilleure sécurité que le Haut-Koenigsbourg et qu'il était nécessaire de confier cette place-forte à quelqu’un de fiable. Mais comme Rodolphe de Bollwiller n'avait pas de descendant mâle mais seulement deux filles, il était nécessaire d'exclure celles-ci de la succession car on ne pouvait pas savoir quand elles se marieraient.

 

Le 16 août 1605, l'archiduc Maximilien donne son accord à la cession du château. Après plusieurs tractations préliminaires, François et Jacques de Sickingen demandent le 6 janvier 1606 à ce que leurs neveux participent à la négociation finale. Le gouvernement d'Innsbruck donne son accord et les 4 et 5 avril de la même année une assemblée se réunit à Ensisheim comportant les deux Sickingen, le seigneur de Stadion, deux seigneurs de Büst, dont l'un était bailli de Thann et quelques représentants de la Régence. D'entrée, les Sickingen déclarent qu'ils auraient préféré, ainsi que leurs neveux, garder la possession du Haut-Koenigbourg mais qu'ils ne souhaitaient pas s'opposer aux vœux de l'archiduc. Mais il demandent à ce que une partie du prix de rachat (14000 florins) soit garantie par une hypothèque sur le bailliage de Thann et Landser. 5 jours plus tard, le 10 avril on se rendit au château pour faire un état des lieux et constater les réparations entreprises par les Sickingen. Du protocole établi le 10 avril on apprend qu'il était nécessaire de réparer la charpente, le toit et les gouttières des écuries, que le plafond des galeries et des chambres était endommagé et qu'il fallait consolider le toit par une armature de fer et de plomb, que le toit de bardeaux était en mauvais état et qu'il fallait en commander à Villé, que le vent avait fait tomber une cheminée ce qui a endommagé la tour de guet, que les portes, les fenêtres et les poêles étaient en mauvais état et que le mur de la cour intérieure s'était effondré.

 

Dans l'inventaire des armes et des munitions nous apprenons qu'il y avait sur les remparts extérieurs 6 Falconets, un vieux canon et un falconet en fer, une bombarde, 8 hallebardes et des pics, une roue avec cordage, sept arquebuses en fer dans la salle de garde, 12 fusils en fer et trois en cuivre, 46 fusils de campagne en mauvais état, 35 cornes à poudre, 25 petites boîtes à poudre, une vieille armoire à munitions et un moulin à main. Dans un document du 15 septembre 1609 annexé à l'inventaire, on précise que le nouveau propriétaire devait faire livrer au château 3 tonnes de poudre, 5,5 quintaux de plomb, 0,5 quintal de détonateurs, 6 lanternes, une douzaine de mousquetons, 12 hallebardes et 2000 couronnes d'artifice qu'il fallait commander à Colmar. Apparemment les 10 années qui précédèrent la guerre de 30 ans étaient déjà assez agitées puisqu'on se préparait à un siège.

 

Le 10 avril 1606 un accord est conclu entre les Sickingen et les représentants Impériaux. Le 15 avril un nouveau contrat est passé par ces derniers avec Rodolphe de Bollwiller. La régence paye sur le champ 600 florins destinés aux réparations et 2000 allaient suivre. Bollwiller devait rendre compte de l'utilisation de ces sommes mais n'était pas considéré comme responsable en cas de sinistre mais qu'il devait prendre des mesures de prévention pour éviter l'effondrement du pilier central. Pour des réparations de moindre importance il touchera 50 florins.

 

Le 18 avril la Régence informa le gouvernement d'Innsbruck que Bollwiller est entré en possession du château. On apprend dans ce communiqué que 65 habitants d'Orschwiller s'étaient rassemblés devant le Haut-Koenigbourg pour prêter allégeance au nouveau seigneur qui a promis à ses vassaux une protection contre tous les dangers et d'être pour eux un père auprès duquel ils pouvaient trouver aide et réconfort mais qu'il allait se montrer intraitable à l'encontre de ceux qui se montraient réfractaires.

 

Il demanda à ses vassaux d'être fidèles et de se comporter en hommes d'honneur pour vivre en bon entendement pour pouvoir plus tard accéder à la vie éternelle.

 

Après ce discours dans lequel Spach reconnaît un côté très paternaliste du rapport féodal, Bollwiller donna à ses subordonnés 6 tonneaux de vin qu'ils pouvaient se partager entre eux. Cette cérémonie se clôtura par une visite du château et le partage d'un déjeuner offert par le nouveau maître des lieux...

 

Pendant tout le temps ou Bollwiller étai en possession du château, de 1606 à 1617, il était constamment en conflit avec la Régence pour l'obtention indemnisations en vue de réparations. Cela commence déjà 6 mois après son installation. Le 22 septembre 1606 il rappelle à la Régence que les Sickingen auraient déjà signalé à plusieurs reprises des réparations à faire mais les travaux n'avaient jamais été entrepris faute d'accord sur la partie qui devait supporter les coûts. Ce qui fait que le chantier a été repoussé et les réparations qui ont été entreprises l'on été dans de mauvaises conditions ce qui fait que l'état actuel du château est des plus délabré...

 

Le 28 septembre la Régence informe le gouvernement d'Innsbruck sur l'état de la situation. Les demandes formulées par Bollwiller suscitent d'interminables débats mais ont lui reconnaît sa loyauté car il n'a engagé que des personnes dévouées à la maison d'Autriche. Le 22 décembre l'archiduc Maximilien accorde à Bollwiller la possession du Haut-Koenigsbourg sous les mêmes conditions que celles faites aux Sickingen. Le 11 août 1608 Bollwiller adresse une lettre au seigneur de Stadion pour le prier de venir au Haut-Koenigsbourg à la place du chancelier. Le 20 du même mois se tenait une réunion rassemblant des conseillers de la Régence, les seigneurs de Dübendorf et Heckler et le commandant Barthelemy Bysanzer. Ce dernier était prévôt de Delle et reçu de la Régence l'ordre de se rendre au Haut-Koenigsbourg au plus tard le 20.

 

Les personnes présentes visitèrent avec Bollwiller les remparts extérieurs et le lendemain matin l'intérieur du château. Le commandant Bysanzer donna les instructions pour procéder aux améliorations, sur la manière d'aménager les tranchées et pour procéder aux relevés et plans afin de répondre aux vœux de la Régence. L'assemblée reconnut la nécessité de consolider le toit de l'armurerie et d'augmenter les moyens de défense : deux armes à feu pour la défense de la porte, de la poudre, du salpêtre, du soufre, des anneaux d'artifice, des cuirasses, des hallebardes, des lances etc …

 

André Hilteprandt, le secrétaire de Bollwiller fait part le 17 septembre 1609 de la livraison de plusieurs de ces articles. Il fait part en mai 1610 qu'il a recruté six soldats depuis le 4 avril dont chacun touchait une solde mensuelle de 6 florins. Le 11 juillet de la même année il écrit de Sélestat que la garnison nécessaire devrait avoir un effectif de 40 hommes et réclame davantage d'argent pour les soldes et les munitions. On accepta sa demande pour les munitions mais seulement 12 hommes en renfort.

 

Rodolphe de Bollwiller semble être décédé en 1617 c'est à dire peu avant le début de la Guerre de Trente Ans. C'est son gendre Jean Ernest de Fugger, issu de la célèbre famille d'Augsbourg, qui entra en possession du château. Celui-ci va poursuivre la correspondance avec la Régence engagée par son beau-père au début de la Guerre de Trente Ans. La Régence donna l'injonction au receveur de Oberhergheim de transmettre des sommes d'argent à Fugger. Mais le receveur pourra pas l'exécuter par manque de moyens et on demandera à Fugger de patienter.

 

Dans les deux premières périodes de la guerre, la guerre de Bohême et du Palatinat et l'épopée danoise, le château ne fut pas attaqué car d'autres régions étaient concernées par le théâtre des opérations. Mais l'armée du comte Ernst de Mansfeld vaincue dans le pays de Bade, en Franconie et dans le Palatinat se tourna vers l'Alsace et, conduite par le margrave de Durlach, s'empara des villes de Haguenau, Obernai, Andlau et Dambach mais ils durent se dépêcher pour faire la jonction avec l'armée de Mansfeld en Suisse et se dirigèrent vers Sélestat où ils incendièrent quelques maisons des faubourgs.

 

Il va en aller autrement durant la troisième période de la guerre : l'épopée suédoise. Lorsque Gustave Adolphe entra en Poméranie en juin 1630 et que l'on soupçonnait l'implication de la France, il devint impératif pour les Impériaux de consolider les places-fortes occidentales. Comme Sélestat accueillait une garnison d'Impériaux, la Régence demanda au prévôt de Bergheim de mettre tout en œuvre pour procéder aux réparations du Haut-Koenigsbourg. Nous n'avons aucune information sur la suite donnée à ces recommandations.

 

Après la bataille de Breitenfeld (1631) Gustave Adolphe traversa la Franconie et la Thuringe pour conquérir l'Allemagne centrale et dirigea ensuite le gros de son armée vers la Bavière (1632) et l'Autriche. Il envoya le maréchal de Horn à la conquête de l'Alsace. Malgré une résistance courageuse du seigneur Jean Louis Zorn de Bulach du 8 septembre au 29 octobre 1632, et malgré les remparts entourant la ville, Benfeld, chef-lieu de la circonscription, se rendit à l'assaillant. Les Suédois se rendirent aussi maîtres de Sélestat qui capitula.

 

La Régence était alors contrainte de quitter Ensisheim pour se réfugier à Brisach. Il devenait impérieux de conserver le Haut-Koenigsbourg où les habitants d'Orschwiller étaient réquisitionnés pour les corvées destinées à renforcer les défenses. Douze d'entre-eux était chargés alternativement d'assurer la garde. La Régence confia la défense du château au commandant Philippe de Liechtenau.

Les Suédois, sous le commandement des Rhingraves Othon-Louis et de son frère Jean Philippe s'empressèrent d'achever la conquête de l'Alsace. Les forteresses du Haut-Andlau et du Landsberg sont contraintes à la reddition et les Suédois semèrent la terreur dans les vallées de Villé et de Schirmeck. Le 27 mai le rhingrave Jean Philippe quitte Dambach pour surprendre la ville de Villé et Chemnitz nous relate de déroulement des opérations.

 

Par la suite, le rhingrave Jean Philippe semble avoir entrepris, à la fin du mois de mai 1633, un coup de main pour s'emparer du Haut-Koenigsbourg mais sans succès. Cette tentative est à mettre en relation avec le communiqué de Liechtenau du 2 juin adressé à Brisach où il déclare avoir fait prisonnier un commandant suédois. Dans sa réponse du 4 juin, la Régence l'encourage à ne pas céder aux pressions et promet de lui envoyer de l'aide. Le 12 juin le colonel Wervenni conduit 39 lorrains en renfort et promet une aide supplémentaire en hommes et en vivres.

 

Ce n'est qu'en juillet qu'un corps de troupe commandé par le lieutenant colonel Georges Sébastien Fischer du régiment Hubaldt va faire le siège du château. Le château était alors encerclé et bombardé du sud et de l'ouest, sans doute à partir du vieux château. Après 8 jours de siège, du 17 au 25 juillet, Fischer envoya une sommation à Liechtenau sur un simple chiffon de papier. Ce dernier fit savoir qu'il refusait de se rendre.

 

Le siège fut prolongé. Le 8 août Liechtenau réussit à faire parvenir une lettre à la Régence où il déclare que château était dans une situation désespérée et qu'il était attaqué violemment entre le 17 et le 25 juillet, qu'il souhaitait le 26 une trêve qu'il n'a pas pu obtenir. Il précisait en outre que les tranchées ennemies atteignaient la porte du château et qu'il était impossible d'en sortir ou d'y rentrer sans risquer sa vie.

 

Cette lettre, empreinte de désespoir, et qui se trouve dans les archives montre que tous les assiégés demandaient à ne pas connaître le sort qu'avaient subi la plupart des communes conquises par les Suédois. Depuis 9 mois, 12 bourgeois se relayaient sans interruption pour assurer la garde ce qu'il les avaient obligé de se réfugier au château avec femmes et enfants pendant que l'ennemi dévastait le village et les cultures et brûlait l'église et la plupart des maisons. Liechtenau poursuit qu'ils demandent conseils sur l'attitude à adopter et qu'il ne sait quoi répondre …

 

Le 25 août Liechtenau fait parvenir une deuxième lettre dans laquelle il précise que ses troupes sont à bout. Suit un échange de missives entre Liechtenau et Fischer.

 

Le 27 août la Régence en appelle au duc de Lorraine et lui expose l'impérieuse nécessité de venir en aide aux courageux assiégés et le même jour elle s'adresse à Liechtenau et lui demande d'avoir confiance en l'avenir en précisant qu'au bord du lac de Constance 20000 Impériaux et Espagnols s'étaient rassemblés et que d'autres renforts allaient arriver. Elle lui laisse entrevoir qu'il sera remplacé dans une quinzaine de jours et que Hannibal de Schauenbourg était chargé d'expliquer la situation du Haut-Koenigsbourg au duc de Lorraine, que ce dernier attendrait du renfort des Pays-Bas qui devrait arriver dans les prochains jours et en outre, que les Suédois auraient essuyé une défaite entre Haguenau et Pfaffenhofen et auraient perdu 2500 hommes.

 

Après cela, cette correspondance va prendre fin brutalement. Alors que nous avions beaucoup d'informations précieuses jusque là, nous ne pouvons que déplorer l'absence de données sur le sort qui allait être réservé au Haut-Koenigsbourg et à son vaillant défenseur Liechtenau. Ce n'est qu'en 1672 que nous trouvons dans les archives un acte de vente daté du 18 mai qui nous apprend que François de Klinglin agissant au nom de Christophe Rodolphe Fugger a vendu le Haut-Koenigsbourg et le village d'Orschwiller à François Ferdinand de Sickingen, résidant à Fribourg, pour une somme définie.

 

Nous pouvons nous interroger sur ce qui c'est passer entre temps, sur ce qui est advenu au Haut-Koenigsbourg et à Liechtenau. Nous ne pouvons malheureusement faire que des suppositions. Si le Haut-Koenigsbourg avait résisté on en trouverait mention dans les archives. Compte tenu de la situation du Haut-Koenigsbourg et de l'état de la garnison décrits par Liechtenau, compte tenu de l'incurie de la Régence, nous ne pouvons que conclure à une reddition.

 

En accord avec Spach, nous pensons que les secours ne sont jamais arrivés et que la garnison affamée a capitulé au courant de l'automne 1633. Nous espérons que les Suédois ont su reconnaître aux ennemis les valeurs du courage et de la fidélité. Nous pouvons aussi ajouter que les Suédois en ont profité pour détruire les remparts pour rendre cette citadelle inoffensive. L'état déplorable de la ruine atteste que les détériorations ne sont pas seulement l'oeuvre du temps. Il faut admettre que les destructions peuvent aussi avoir été occasionnées plus tard et notamment sous la Révolution.

  1. La période française 1648-1871

 

 

Après les années catastrophiques de la Guerre de Trente ans, nous avons vu que le château est sorti du patrimoine des Fugger en 1672 pour rejoindre celui des Sickingen, mais cette fois, après les traités de Westphalie, en tant que fief du royaume de France. La famille Sickingen resta en possession du château et du village d'Orscwiller pendant environ 100 ans (de 1672 à 1770).

En 1770 c'est François Henri de Boug, premier président du Conseil Souverain d'Alsace, qui en devient propriétaire en vertu d'un contrat du 5 mars et le roi Louis XV a confirmé cette acquisition par lettre-patente du 25 janvier 1771. Cette lettre confirme que M. de Boug pourra jouir du château et du village en pleine propriété ainsi que ses enfants, ses héritiers et ayants-droits. Les de Boug prirent le nom de Boug-Orschwiller car le château était considéré comme une annexe du village qui n'avait de valeur que par la forêt environnante. C'est pendant la période de Boug-Orschwiller que vont intervenir les grands bouleversements de la Révolution.

 

 

Enfin, par un acte 18 juin 1825, conservé dans les archives de Sélestat, les de Boug cédèrent le château et le ban d'Orschwiller pour 48000 francs à MM. Dreyfuss propriétaire à Ribeauvillé et Mannheimer propriétaire à Uffholtz. Après la mort de ces acheteurs et la faillite des héritiers de Dreyfuss, le Haut-Koenigsbourg avec la forêt attenante ont été vendus aux enchères et attribués à MM Salomon, Adolphe, Auguste et Aron Mannheimer pour 80000 francs. Ces Mannheimer cédèrent château et forêt pour 150000 francs par acte du 22 Janvier 1865 à la ville de Sélestat.

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