Comme les eaux de la Morge, qui divisent Saint Gingolph entre la France et la Suisse, comme jadis la Liepvrette divisait la cité vosgienne de Ste Marie aux Mines entre le duché de Lorraine et la seigneurie de Ribeaupierre, c'est un minuscule ruisseau qui divisait le village viticole de Westhalten entre les possessions de la cité voisine de Rouffach et celles de Soultzmatt.
Mais quelles étaient donc les circonstances qui ont conduit à cette situation ? A la sortie de la vallée de Soultzmatt s'élève, sur la rive gauche de l'Ohmbach, une colline calcaire, vaste et riche, qui porte le nom de Vorburg, ou Vorberg en 1316, et que contrôlait la ville de Rouffach. C'est dans les entrailles de cette colline que l'on a extrait cette célèbre pierre jaune que nous pouvons toujours admirer à l'ancien palais de la Régence à Ensisheim mais aussi aux églises de Colmar, Rouffach et Thann. Sur cette colline poussaient aussi les plus vieilles parcelles de vignes de la région, destinées sans doute à la toute proche villa romaine du Bollenberg. Les constatations que l'on a pu faire prouvent que les pentes de cette colline étaient cultivées et entretenues depuis des temps reculés et qu'elles fournissaient, outre des matériaux de construction remarquables, des vins fort prisés. Ceci explique aussi un grand morcellement des parcelles, avec des lieux-dits qui portent des noms particuliers comme Lützeltal, ze Lützelntal 1372, ze den Westhalden 1280, die Vorberghalden 1343, ze Sunthalden 1288 etc …
Dans le langage populaire, les coteaux du Vorberg devinrent les Haulen et les Sunthalden devinrent Suntel ; les deux restèrent jusqu'à nos jours des aires viticoles appréciées. Par contre, les côteaux tournés vers l'ouest, situés à l'intersection des axes Rouffach-Soultzmatt et Pfaffenheim Orschwihr, terrains fertiles, aussi pour la culture des fruits et légumes, et bénficiant également de conditions favorables pour l'approvisionnement en eau potable, vont apparaître pour la première fois sous l'appellation de villa dans une donation royale au profit du couvent Saint Alban de Bâle en 1103. Depuis la fameuse donation du roi Dagobert, selon toute vraisemblance, l'ensemble de la vallée de l'Ohmbach formait une partie des possessions de l'évêché de Strasbourg que l'on appelait alors l'Obermundat.
Mais déjà au 8ème siècle, avant le développement du village de Westhalten, la situation se modifia suite à la fondation du prieuré de Lautenbach, dans la vallée de la Lauch. Celui-ci allait bénéficier de la dîme de la vallée supérieure de l'Ombach et provoquer la scission en deux territoires, le premier autour de Soultzmat et l'autre autour de Rouffach. Le petit ruisseau, qui jaillissait d'une faille latérale située au nord pour se déverser dans l'Ohmbach, allait devenir, avec la fontaine du village, la frontière. La partie gauche , avec les jardins les vignes et les maisons, restait acquise à Rouffach quant à la partie droite, avec la perception de la dîme, elle allait à Soultzmatt c'est à dire au prieuré de Lautenbach.
A l'ouest, près de la fontaine, se tenait la chapelle dédiée à Saint Blaise avec son cimetière ; elle est citée pour la première fois en 1338. Ce sont des chapelains de Rouffach et de Soultzmatt qui, à titre accessoire, faisaient office de chargés d'âmes. C'est seulement en mars 1450 que l'évêque Conrad de Busnang, qui reçut l'Obermundat en apanage en échange de sa renonciation au siège épiscopal, fonda une paroisse indépendante à Westhalten, en accord avec Clara de Mülnheim, l'abbesse d'Eschau propriétaire de la dîme et le recteur Schiferstein.
L'évêque de Bâle nomma Henri Unstett comme curé ; la situation des habitants du village restant inchangée. Le cartulaire de 1578 qui recense les droits des évêques à Rouffach précise : « le village de Westhalten dans son ensemble, droits et obligations, appartient à la ville de Rouffach pour la partie qui se trouve de son côté du ruisseau, elle est administrée par un Schultheiss (bourgmestre), désigné par le prévôt et le conseil et assisté de deux jurés chargés de surveiller la communauté ». De ce fait, la justice n'es pas rendue dans le village mais les affaires qui concernent la partie rattachée à Soultzmatt sont jugées à Soultzmatt et celles qui concernent la partie rattachée à Rouffach sont jugées à Rouffach. Il en va de même pour le jugement des délits de sacrilège, les impôts, les droits de douane, les droits d'héritage et de décès.
A carnaval, chaque ménage était redevable d'une poule au profit du prévôt ; le Schultheiss, les jurés, l'appariteur, les chargeurs de vin et les femmes enceintes en étaient dispensés. Comme le village ne disposait pas de tribunal, il n'avait pas d'armoirie ; mais le Schultheiss avait le pouvoir d'authentifier les contrats privés avec son propre sceau comme nous pouvons le constater sur un document de 1488 revêtu du sceau du Schultheiss Hans Hericken. Mais l'image de la flèche, qui va figurer sur les armoiries, apparaît très tôt comme symbole distinctif dans les messages.
Sur la vie du village nous ne savons que très peu de choses. En 1527, Blaise Beck est emprisonné pour avoir insulté le curé et diffusé des livres hérétiques, quant à sa femme, qui a participé à des réunions d'anabaptistes à Sigolsheim, elle a été traduite devant le tribunal de l'inquisition à Rouffach et noyée dans l'Ohmbach. On voit que l'esprit de la Réforme se développait aussi dans les possessions épiscopales. Malheureusement, pour la tranquillité et la sécurité des habitants, le village n'était pas protégé par des remparts. Les dévastations causées par le « Diebskrieg » (guerre des voleurs) de 1571, où l'envahisseur a vidé entièrement les caves, les écuries et les greniers, restèrent longtemps gravées dans la mémoire des habitants. Une bande de 30 000 mercenaires de Navarre était cantonnée pendant trois jours à Soultzmatt, Westhalten, Gundolsheim et Orschwihr et l'évêque dut puiser dans ses réserves de Rouffach pour adoucir la détresse générale. Pour éviter à l'avenir d'être pris par surprise par ces bandes errantes, on a imaginé une manière particulière de construction des maisons. On ne va plus conserver de rez-de-chaussée destiné à l'habitation mais à une cave aérée par d'étroites lucarnes. Les bâtiments entouraient une cour intérieure accessible par une porte donnant sur un étroit couloir en angle pour mieux assurer la défense. Au sommet de cette porte, figurait parfois une devise comme pour assurer la bénédiction à cette singulière fortification. Nous pouvons encore trouver cette inscription datant de 1696 sur une façade : Got und Maria zu Lob bris und ehr und auch dem gantzen himlischen her.
Malheureusement, les temps modernes ont eut honte de ces coutumes et ont recouvert de chaux ces inscriptions. C'est ce qui est arrivé partiellement à la devise ci-dessus. Les habitants les plus remuants de Rouffach étaient bannis de la ville et expédiés dans l'insécurité de la vallée. En 1538, un certain Ehrhart causa des troubles à l'ordre public et menaça même le prévôt épiscopal. Le magistrat le mit en prison et précisa la sanction : « qu'il soit envoyé dans la vallée de Soultzmatt pour terminer ses jours, et interdit de port d'armes à l'exception d'un couteau à pain dont la pointe aura été préalablement brisée ... ».
Un vieux dicton hollandais précise qu'Amsterdam s'est développé grâce aux harengs. De la même manière, Westhalten doit sa prospérité à la vigne et au vin. Ce village paisible est entouré de vignes accrochées aux pentes raides des collines qui l'entourent et le travail de la vigne réclame presque chaque jour un effort intense. Seul l'âne, frugal et patient, compagnon indispensable, était adapté pour escalader ces chemins escarpés. Lorsqu'on se promenait à travers ces pentes cultivées on croisait souvent ce petit frère aux longues oreilles et au manteau gris, une charge pesante accrochée à la selle et tirant tranquillement et courageusement la lourde charrette vers le sommet.
De méchantes langues ont donc transféré à Westhalten le siège de l'académie des ânes et colporté avec malice toute sortes de contes et de légendes pour se moquer des habitants et les mettre en colère. Même le fait de laisser par inadvertance la pointe du mouchoir sortie de la poche pouvait attirer des ennuis à l'imprudent voyageur. Ces temps sont maintenant révolus et le vigneron de Westhalten est heureux de voir les étrangers visiter son académie, goûter, vanter et surtout acheter son vin.
Pour les travaux, le petit âne, son ami fidèle, a maintenant disparu. Les vins de Westhalten étaient déjà à l'honneur et très appréciés au Moyen Âge. C'est pourquoi les couvents et les nobles se sont donné tant de peine pour acquérir des propriétés dans cette terre bénie des Dieux. En 1201, l'évêque de Strasbourg Conrad laissa au couvent de Marbach une propriété à Westhalten, dépendant de la cour dîmière de Rouffach. Cette propriété appartenait en fait à l'abbesse d'Eschau. L'abbesse avait convenu avec Marbach d'une réduction de la dîme dans la mesure ou Marbach garantissait l'acheminement à Eschau du reste des dixièmes du village. Cet accord était encore en vigueur en 1349.
En 1267, le noble chevalier du Sundgau, Walther von Schöneberg fit une donation au couvent de Michelfelden de 6,5 schatz de vignes de sa propriété de Westhalten. La fondation Schönenwerd située dans l'Aargau était propriétaire d'une cour à Rouffach avec 6 schatz de vignes situées à Westhalten données en fief au chevalier Jacob Erbeiter. Gezina, la femme du ministériel Rotlieb von Eguisheim vendit en 1280 au couvent Saint-Madeleine de Bâle des vignes au lieu-dit Vogelsange dans le ban de Westhalten. En 1360, le seigneur Dietrich von Hungerstein apparaît dans le village et cède des vignes situées à côté des religieuses de Schönensteinbach, au couvent Klingentahl de Kleinbasel. La femme du propriétaire noble Bertschin von Hagenbach vend en 1384 à Catharina Zerbruggen des intérêts sur des terrains viticoles situés aussi à Westhalten.
Marbach et Schwarzenthann cèdent des intérêts sur des terrains au Schultheiss Oswald Schmeltzelin, terrains situés près du presbytère, du Dorfgraben et des moines de Stettenberg près d'Orschwihr. Conrad von Réguisheim, un chevalier aussi appelé Cuno de Westhalten était propriétaire de vignes et résidait également dans une cour fortifiée dans le village. La cour du très vieux couvent de Saint-Marc était aussi une cour fortifiée et fermée dont les plus vieux habitants gardent encore le souvenir. C'est de là que partaient les meilleurs vins vers le monastère Sankt Georgen en Forêt Noire dont dépendait le prieuré de Saint-Marc.L'abbé Gaisser, qui suivait une cure thermale à Soultzmatt et qui eut l'occasion de gouter le vin de Westhalten nota en 1647 dans son carnet « Guott Wein auss dem Elsäss kommen ».
Ce n'est qu'à la Révolution que s'opéra la fusion entre les deux parties pour ne former définitivement qu'une seule et même commune. Quand les conseils municipaux furent introduits en 1788 et que l'élection des conseillers enfiévra les habitants en 1790 ont compris que l'union devenait envisageable. Ceci éveilla fortement la conscience des habitants et le Schultheiss Michel Kohler nota dans le registre communal, dans un accès de colère : « il n'est plus question pour les citoyens de tout payer ». Sur son instigation, les habitants se réunirent et se déclarèrent, au nom des lois de la Révolution, comme commune indépendante ; Michel Kohler en devint le premier maire. Rouffach et Soultzmatt restèrent néanmoins encore propriétaires des biens communaux mais devaient en contrepartie subvenir aux dépense à hauteur des 2/3.
La collaboration entre les trois conseils entraina de nombreux désagréments et Kohler, mandaté par la population fit, déjà en 1807, la proposition de diviser les bans communaux au prorata des habitants et d'attribuer à Westhalten son propre lot. Après de multiples hésitations et de longues négociations on en arriva à partager, terres et forêts, le 12 janvier 1818. Seul le droit d'accès à l'hôpital de Rouffach restait encore en suspens et ne fut réglé qu'en 1890.
Depuis, ce village pittoresque, dominé par les sommets du Grand et du Petit Ballon, s'est développé avantageusement. Le cimetière qui se trouvait au centre du village a été déplacé dans les prairies situées au Nord en 1811 et une nouvelle église dédiée à Saint Blaise a été bâtie au même endroit en 1839. La place libérée fut consacrée a une nouvelle mairie. Le vignoble, négligé en temps de guerre, fut profondément réaménagé. Dans les parcelles nommées Haulen, Sautel, Steinstück, Jettenbrunnen, Sulzen etc .. mûrissent aujourd'hui les raisins les plus nobles qui donnent des vins appréciés dont la renommée a gagné le monde entier.
Le féru de botanique peut chercher des espèces rares d'orchidées sur les pentes du Zinnköpfle et de précieuses graminées au Schlössleberg. Dans les entrailles des rochers se cachent des coquillages et des animaux lacustres fossilisés qui témoignent de très anciennes catastrophes et dans les pelouses sèches du Bollenberg se promènent les derniers exemplaires de mantes religieuses, espèce aujourd'hui protégée. Les contes populaires foisonnent d'histoires comme cette fontaine des enfants qui assure au village sa progéniture, ces fêtes sataniques des sorcières au Bollenberg ou cette créature nommée Bawele-wasch-di qui, au croisement, en direction de Pfaffenheim, attire et rend fou le plaisantin attardé. Oui Westhalten était, est et restera un petit coin spécifique et digne d'intérêt de notre terre d'Alsace.
Bruno Meistermann Westhalten traduction d'après Theobald Walter dans Elsassland, Lothringer Heimat 1933
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